Le « bougé » chez Gerhard Richter
L’art est obsédé par le mouvement, de Pygmalion rêvant de donner la vie à sa Galatée, à Gerhard Richter qui essaie dans les peintures qui l’ont fait connaître dans les années 60 de donner l’impression de la vitesse, du temps qui passe, en reproduisant à l’huile des photos floues.
Mais avec l’apparition du cinéma et l’envahissement des arts du mouvement que sont la TV ou la vidéo voire l’informatique, le défi devient presque insurmontable pour les arts graphiques traditionnels, la sculpture et bien évidemment la peinture.
Faut-il traduire le « bougé », comment le traduire, s’agit-il de saisir un instant ou grâce à la magie de la peinture inscrire tous ces défis dans le tableau. La réponse de G Richter est multiple.
Photos aériennes de villes détruites, toits de Paris inondés de lumière et simulant le passage des nuages, photos de Ferrari dont le mouvement est transmis par un frottage de la peinture qui fluidifie la matière, la rend presque gazeuse.
Cette technique est utilisée pour le « nu descendant un escalier » correspondance du même de Duchamp. Le « bougé » trouve son expression en jouant sur l’effet parallaxe, la superposition des champs, le « flou » que l’on qualifie souvent d’artistique mais qui vise au « vivant », au « vrai », au « mouvement ».
Chez Franz Hals, on trouve ainsi souvent une superposition de lèvres pour simuler l’oralité, chez Rembrandt on tend à l’impressionnisme tandis que dans les représentations de la Cène chez les Vénitiens (Titien, Véronèse, Tintoret…Bassano) on joue des expressions des différents personnages.
Le Caravage multiplie les points de vue pour faire naître chez le spectateur des impressions multiples et diffuses, noyant le poisson en quelque sorte, pour ne pas donner à sa peinture une interprétation unique.
Ainsi, dans la Madonna dei Palafrenieri (1621-1622) de la Villa Borghese à Rome, un serpent s’agite sous le pied de la Madone sur lequel repose le pied de l’enfant Jésus tandis que Sainte Anne pas du tout apitoyée regarde la scène. Tout est dit mais quoi ? Est-ce une scène biblique ou Michel Ange nous raconte-t-il sa propre histoire, voire une thématique que les critiques modernes appellerait psychanalytique, celle de la négation du mâle par la communauté des femmes : « matriarcal myth où Phallus » ?
Cette obsession pour le « bougé » dans les arts, évidemment trouve des opposants, les obsessionnels de la figuration, du « design », du parfait. Est-ce que ce sont deux écoles, deux méthodes, deux querelles ? L’une doit-elle l’emporter sur l’autre ?
Ne cherchant pas à résoudre cette problématique, Richter la détourne, la contourne, la conceptualise presque. PANORAMA, son exposition du centre Pompidou, joue sur le dédoublement, l’effet miroir, la multiplication des points de vue pour nous donner autre chose à voir, recomposer à partir de l’art de peindre, l’histoire contemporaine puis l’histoire de l’art voire son histoire personnelle.
Dans ses dessins et aquarelles exposés en parallèle au Louvre, nous retrouvons cette insistance de G.Richter pour créer le mouvement par le choix des techniques et par l’expérimentation.
Le tracé (Drawings II, III, IV, 2005, Fonds Howard Stone), les Encres, 2008, mais aussi les Motifs (eau, paysage, ciels) visent à donner l’impression de vibrer, de bouger. Ainsi en est-il de Ball et Balls, 1991 qui tourne sur elle-même ou se coursent l’une l’autre.
La superposition des encres joue sur l’effet volume, donne une perspective, rend l’impression d’un œil qui pénètre l’atmosphère d’une nouvelle planète et en perçoit comme par satellite une approche nouvelle (encre de chine sur papier, 1991,91/4).
En cela les expérimentations de des années 90-2000 ne rompent pas avec les premières expériences photographiques des années 60-70 (Elbe, 1957, Halifax, 1976, After abstract picture, 1976) comme on peut le voir à Beaubourg s’agissant de la Chaise vue de profil (1963) ou dans les vues du ciel (Nuages) ou dans les visions d’avions comme dans Escadrille.
Si bien que pour Richter tout est possible et, le peintre ne s’embarrasse pas des canons de l’art contemporain pour laisser libre cours à son expression. Ses dernières toiles s’inscrivent dans cette perspective. Elles semblent être un aboutissement de cette abstraction dans la peinture.
Elles rejoignent celles des nouvelles générations qui franchissent ce pas en même temps que lui.
Mauresk.
jeudi 23 août 2012
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