Arman à Beaubourg.
1969. _ Arman, qu’est-ce qu’un artiste ? _ Ce n’est pas tant quelqu’un qui donne à voir, que quelqu’un qui donne à penser.
_ Êtes-vous un artiste révolutionnaire ? _ Révolutionnaire non, révolté oui. Tout artiste est quelque-part révolté.
Arman travaille aux usines Renault. Avec son allure de camionneur, sa gouaille d’homme du peuple, Arman donne le change. Il sait y faire pour mettre dans sa poche le journaliste, l’esthète, l’homme politique (G.Pompidou), l’industriel. Il n’est pas ouvrier mais artiste-invité. Une « résidence !» dirions-nous aujourd’hui.
Tout ce qu’il faut pour ne pas dépendre du marché, mais attirer les mécènes. Il prépare pour l’exposition universelle d’Osaka (1966), une « accumulation » dont il a le secret. Elle sera placée en bout de parcours dans le Pavillon français. Quelqu’un, à côté de lui pendant la vidéo, lui dit que cela lui fait penser à un vitrail.
Silence religieux : la France, le Vitrail, la Culture, la Peinture, la Sculpture, l’Histoire de l’Art, Arman. Tout est dit.
Arman s’inscrit dans la tradition de la Peinture, de l’Art. Serait-il le nouveau Vinci ? Il ne décline pas l’hypothèse. Il se revendique comme un continuateur. Certes, il décompose plus qu’il ne compose : les guitares, les mandolines…mais, n’est-ce pas prendre la suite des cubistes, de Picasso, de Tatline ?
Retours en arrière.
Arman est dans un appartement new yorkais pour une galerie de renom. C’est la mode du Happening, de l’Installation, de la Révolte artistique. Son ami Klein peignait avec des corps. Arman sculpte avec son corps.
Il prend une masse et détruit un salon (Conscious vandalism, 1975). On reconnaît le style de l’époque. Les papiers au mur sont cinétiques, orangés avec motif répétitif industriel. Il y en a encore dans nos maisons mais, le goût changeant, ces papiers disparaissent à grande vitesse.
Arman se saisit ensuite d’une hache de pompier et finit de massacrer le mobilier. Avec un cutter, il lacère les canapés. Le tout est reconstitué à Beaubourg avec le film en prime. Il est indiqué devant le salon en miettes dans un espace de dix mètres carrés : « Ne pas toucher, fragile » !
Arman se met en scène. Il est le seul personnage de son travail artistique. Ce n’est pas en tant que camionneur qu’il apparaît, mais en loubard-motard de banlieue, veste cuir, bottes, barbe poivre et sel, sans doute plus de cinquante ans à l’époque. Il se déchaîne (au sens propre et figuré s’entend).
Ses autoportraits sont constitués d’objets enfermés sous plexiglas : il prend ses vêtements, les plient plus ou moins bien, on peut y reconnaître « un hasard calculé » et l’ensemble a effectivement une dimension artistique (Portraits-robots). Nous pouvons même nous poser des questions sur la propreté des sous-vêtements exposés-dissimulés. Il réalise ainsi le portrait-robot de sa compagne.
Jeune, Arman a rompu avec « l’art abstrait », pour se centrer sur l’objet. Sans doute est-ce la clé d’explication de la disparition de l’Homme dans son travail artistique. L’objet envahit tout son art comme il envahit toute la société de l’après-guerre avec la mise en place de la société de consommation.
Ce « turn-pike » dans son œuvre, entraîne en chaîne :
_ les « Accumulations » ( de scies égoïnes, de machines à écrire, de rasoirs électriques, de poupées (Birth control 1962), de pièces auto),
_ les « Colères » ( mise en pièce de piano, violons, contrebasses, instruments à cordes et à vents, coucou suisse « Colère suisse »),
_ les « Ordures » (garbage and full up) concentrées sous plexiglas constituées de fonds de cendrier, de poubelles municipales (poubelles des Halles ou de Milan)ou d’hommes célèbres, d’ordures organiques en décomposition sous plexiglas toujours, déchets bourgeois…
_ les « Combustions » de fauteuil Louis XV, Prie-Dieu, Bonnetière, Violons accumulés et rangés comme des livres sous résine (Bibliothèque d’Alexandrie) : tout disparaîtra !
L’objet envahit tout, à plus soif, nous enferme, nous écrase. Reprenant le titre du recueil d’Arthur Rimbaud, n’intitule-t-il pas une de ses œuvres « Une saison en enfer» ?
Nous crèverons sous nos propres déchets semble-t-il nous dire. L’Homme ne serait-il que Pollution ?
Mauresk
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