Le More : l’amour à mort.
« Je suis là pour dix jours » me dit-elle avec son accent allemand. Je crois donc à une vacancière. « Je vais au théâtre tous les soirs ». « Tous les soirs ! » m’exclame-je ! Dans ma tête, je me dis qu’elle fait un voyage culturel axé sur le théâtre ? ou un voyage d’étude pour étudier la mise en scène française ?, mais la pièce que nous allons voir est en allemand ? Du coup je ne sais plus…jusqu’à ce qu’elle me dise : « je suis souffleuse ». Me voilà assis à côté de la souffleuse d’Othello, au premier rang, bien au milieu.
Nous rions de la situation. Comment une allemande aurait pu passer ses vacances à aller voir du théâtre tous les soirs à Paris ! Qui plus est en banlieue ! Nous sommes aux Gémeaux à Sceaux. Souffleuse ! « Ça n’existe plus en France depuis longtemps je crois » continue-t-elle. Je ne sais pas trop. C’est vrai qu’on en voit plus. Autrefois, les souffleurs étaient cachés dans une guérite enfouie à l’avant-scène. Pas au milieu du public comme ma blonde allemande « soufflante » !
Le spectacle commence. Bien qu’au premier rang, je ne me suis pas rendu compte pendant ma discussion avec Ulrike qu’une piscine composait l’essentiel du décor. Une piscine à haut fond qui s’approfondit au fur et à mesure que l’on s’approche de l’avant-scène.
Les acteurs pataugent. Plutôt les musiciens qui accompagnent la première nuit d’amour d’Othello et Desdémone. Othello se déshabille. Beau mâle aux chairs rebondies, il affiche une nudité sans fard, des muscles d’athlète pratiquant les haltères et les sports de combat.
Comme l’acteur est Blanc, un aryen sans doute, Desdémone plonge ses mains dans la vase des canaux vénitiens pour en couvrir le corps de son amant. Rite de passage de l’homme se transformant en bête sexuelle, ou de la pièce mettant en scène ses personnages. La main douce de Desdémone glisse sur les flancs de son homme lui donnant une noirceur animale.
Dans le texte allemand, nul More, il s’agit du « Schwarz », traduit au surplomb de la scène par « Black » (en français ?), plus exactement « le Black » ! Thomas Ostermeier annonce d’emblée la couleur. Une histoire d’aujourd’hui ! Rencontre de l’autre : l’autre sexe, l’homo-sexualis, le métèque, le Noir, l’étranger.
Le choc des corps et des cultures, le choc des civilisations. Un choc de passions, de cris, de sons gutturaux expulsés par l’orchestre qui tonitrue avec ses percussions, ses envolées de saxo. Le drame est déjà là, dans cette première nuit d’amour. L’amour qui vous fait sortir de vous-même, vous arrache à vos origines, vous projette dans un autre temps.
Desdémone aussi est nue maintenant. Un drap blanc recouvre les amants, le drap de l’hymen percé, un linceul blanc. Dans un pas chassé, deux tritons neptuniens poussent le lit de noce vers l’arrière-scène. N’est-il pas déjà l’annonce du tombeau ?
La catharsis peut fonctionner : l’amour jusqu’à la mort ! Mauresk.
Othello de William Shakespeare, mise en scène de Thomas Ostermeier, première en France, du 16 au 27 mars, au théâtre des Gémeaux à Sceaux, à voir absolument.
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