Manet : peindre ou dépeindre ?
Le musée d’Orsay a saisi l’occasion de l’exposition Manet pour nous montrer l’environnement pictural dans lequel Manet s’est déployé au milieu du XIXème siècle. Et c’est le principal mérite de cette exposition.
Découvrir la modernité de Thomas Couture, son maître, admirer le portrait original de Baudelaire jeune par Emile Demy, les dessins de Baudelaire lui-même (assez bon dessinateur ma foi), « Petra Camara » de Théodore Chassériau, tout ceci à de quoi réjouir le spectateur.
Côté Manet lui-même, il est aussi plaisant de s’affronter à des toiles peu ou pas connues parce que la plupart aux Etats-Unis ou à l’étranger ou aux eaux-fortes qui sont souvent de grande qualité ; il est d’ailleurs regrettable que des annonces faites sur le panneau introductif de l’exposition ne figurent pas dans l’exposition comme les illustrations par Manet du Corbeau d’Edgar Allan Poe traduit par Mallarmé ou de « L’après-midi d’un faune » du même Mallarmé.
Les débuts de portraitiste de Manet sont plutôt prometteurs et il donne son meilleur dans les toiles vite brossées (portrait de Victorine Maurent, 1862, Boston, « la négresse », 1861, Turin collection Agnelli, ou « étude de baigneuse », 1861, Oslo, « la maîtresse de Baudelaire », 1861, Budapest).
La vacuité du détail donnent à ces toiles une modernité picturale (Les Bulles de savon, 1867, Lisbonne, la table devant « Angelina », 1865). On sent que Manet, est un peintre pressé ; il aime se promener, tout voir, tout connaître et jouir sans doute un maximum de la vie.
Il est aux courses, aux corridas, dans la rue ; il peint les femmes avec un bonheur cependant inégal ; elles sont plus dans leur jus quand il les aime, les palpe, les dorlote…Et évidemment la série des Berte Morisot présentée ici est certainement ce qu’il a fait de meilleur : violettes, voilette, éventail…Berte se révèle et le révèle !
En revanche ses « coups », happenings avant la lettre, ne nous convainquent pas toujours d’un point de vue pictural. Faut-il reprocher aux jurys du Salon d’avoir refusé « le fifre », « Olympia », « le Christ moqué par les soldats ». ..Son odalisque a quelque-chose de frigide et son Christ est un peu replet… Même, « Le déjeuner sur l’herbe », laisse à désirer sur le plan pictural
Pour le happening proprement dit, c’est autre chose…certainement Manet voulait d’abord faire passer des idées : mettre en cause un ordre social, des valeurs bourgeoises… mais la peinture y gagne-t-elle quelque-chose ? C’est vraiment avec Manet que cette question émerge et ne va plus quitter les chevalets…Faut-il peindre ou dépeindre ?
La manière dont « le peintre du chat noir » y répond est d’ailleurs déconcertante. Manet peint-il quand il dépeint et ne dépeint-il pas quand il peint ? Au point qu’il est difficile de dire que Manet ait fait de la bonne peinture.
A mesure que Manet vieillit, sa peinture se transforme mais dans un sens qui ne convainc pas. Il rate l’Impressionnisme bien qu’il en ait été le promoteur. « La partie de croquet », 1874 ou les bords de Seine d’Argenteuil relèvent plus du pastiche que de la sincère allégeance au nouveau courant.
Il est moins didactique et devient un demi-mondain de la peinture. Ses portraits manquent leur cible sauf exceptionnellement quand il met en œuvre sa propre sensualité dans « La Blonde aux seins nus » ou, proprement cabotins comme le « Faure dans le rôle d’Hamlet », 1877.
Au point que c’est la peinture « alimentaire » de Manet qui nous séduit le plus : « citron », « asperge », « pivoines coupées » ou dans un piédouche : alimentaire donc bonne !
Mauresk