Fous du volant.
Aloïs ouvre les yeux comme des billes et tourne la tête à n’en plus finir. Ça siffle dans l’air autour de lui et sur le sable deux énergumènes s’agitent en tous sens. Ralph et Guillaume partis à la conquête ! Tirs de roquette, balles sifflantes de snipers, est-ce un jeu-vidéo ? Les coups pleuvent en rafales. Personne ne peut rien y voir. Ça va ça vient mais on ne sait d’où. Pas de pitié pour les fous de Bassan !
Ils sautent en l’air, font un écart arrière, un pas sur le côté puis plongent en avant comme s’ils allaient à la pêche au merlan. Avec leurs têtes de cormoran, leurs corps floutés par la prise de son, ils sont aux quatre cents coups repérant de loin le poisson-volant. Ballet russe, Merce Cunningham en aérobic, ils ressemblent à des hiéroglyphes qui marchent de profil. Ils montent en vrille, salto arrière, glissent le pied droit en homothétie.
La musique est dodécaphonique à dominance de « zip », parfois un flop, un drop, une danse des canards. Ils s’apostrophent d’un « à moi », « à toi », « à tue et à toit ». Ils se coiffent au poteau, réclament un soda et repartent au galop sur la piste aux étoiles. Il s’agit pas de louper le métro ! Et que j’te balance un volant dans les dents. Ah tu l’as voulu çui-là et ben prends çui-ci ! Pas le temps de faire cui-cui.
En eau, en buée, en sablés, usés, collés, à bout, le rictus saccadé par une respiration endiablée, le corps à 360°F, l’écume des sets dans les chaussettes, les pieds nickelés nique nique rage, happés de droite de gauche, au filet, emmêlant les rinceaux et les pinceaux, poussent la raquette à fond, le pied à la fois sur le frein et l’accélérateur.
Rattraper l’oiseau, le père siffleur, l’alouette sans cœur, le martinet qui, du plat fond en piqué, en vrille ou en planeur, hoquète, ramène son bout de fraise effeuillé, son bouton de rose, son bouchon emplumé. « Hourra ! » crient-ils en cœur, paraphrasant Archimède. Auraient-ils trouvé la lune qu’ils n’auraient pas poussé un cri aussi fou de basson.
Les bras en croix, sur le sable, encalminés, le soleil sous les prunelles, le volant planté sur le front : faut-il attendre des baisers ? Déjà se redresser et courir à tout va ! Les jambes lourdes, le corps rompu, les abdo en roc, la crampe sous l’estomac, les cuisses tendues, les pieds enflés, la partie ne fait que commencer. Et fouette cocher ! Les volants font un festival ; ils filent comme des éclairs, embrassent l’air, les plumes resserrées profilées comme des fusées Diamant.
Au compteur, le chronomètre arrêté, l’arbitre égrène les pertes. Mais déjà un engagement, deux smaches, 15-0 : ai-je bien entendu ? Etendre le bras à droite à gauche, reprendre la bête avant le carreau, « border-line ». Et c’est reparti ! elle vole la mouche, à tire-d’aile, jusqu’au zénith puis s’essouffle ou reprend son souffle, inverse la tendance, les flux, prend le vent, un peu de distance.
Quand un coup de vent la pousse devant ! Panique, traîtresse, elle est passée dans l’autre camp. Avoir la détente, la saisir, du dos, du plat, en encorbellement. La relancer douce mais liftée. Aïe ! le piège n’a pas fonctionné. Se retourne contre moi. L’autre que je vois à peine m’assène 40-0 . Le volant me siffle dans les oreilles, j’esquive, me retourne, pas-chassé, saut de poule, caquètement d’oie ; je la reprends par derrière, esquisse un pas de deux, les gros orteils en pointes. Je me précipite sans accélérer !
Dialectique du badminton ! Sauter en l’air, mettre un genou à terre, baiser le sol, étendre les bras devant derrière en haut en bas, remonter au filet, redescendre sur la ligne du fond, à gauche à droite ! Pendant ce temps-là le gars en face, il bouge pas. A la plage, partie de campagne, étend détend sans effort ni excès ! Qu’est-ce que c’est que ce bastringue ? Il renvoie le perdreau ! A tous les coups il gagne. Me voilà empalé !
Petit je croyais que le jeu du volant était un jeu de midinettes de jeunes filles en fleurs. De part et d’autre avec ou sans filet on s’envoyait des fleurs des papillons un objet de toute façon bizarre : un bouchon à plumes…je regardais tout ça en suçant mon pouce. Mais voilà qu’avec l’âge tout s’accélère ; le gentil volant devenu profusion circule à toute vitesse devant mes yeux médusés.
Exténuante la partie ! Terminée, on remballe les volants les raquettes. Tout le monde à la douche. La peau rougie, le sang fouetté ; tout ça finit dans la piscine pour nos fous de bassin.
Mauresk