samedi 28 mai 2011

DELPHES

DELPHES

Lors de mon dernier voyage en Grèce, j’avais deux obsessions : me rendre à Délos et à Delphes. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semblait primordial, essentiel, de me rendre physiquement sur ces deux lieux mythiques que mes voyages précédents ne m’avaient pas permis d’aborder. En 1969, j’avais vu Délos de loin. C’était l’été, il faisait très chaud, une « tourista » avait attaqué quelques-uns d’entre nous et la surpopulation de Mykonos en cette saison nous avait conduits à fuir l’île.

A l’époque, Mykonos était le refuge balnéaire des « beatnik ». Derrière les moulins, vaquait une population qui sans s’en douter singeait sûrement les dieux et les déesses de l’Antiquité…J’étais enfant alors mais je me souviens de tous ces jeunes hommes et jeunes femmes dénudés et bronzés, plus beaux et belles les uns que les autres : bruns, blonds ou roux, aux longs cheveux et barbes tressés, bardés de colliers et de colifichets qui les paraient comme les prêtres et les prêtresses d’une version grecque ou latine.

Ils allaient souvent les pieds nus ou en sandales de lanières et leurs ongles scintillaient sur leur peau tannée comme des pierres précieuses ou des diamants. Venus de l’Europe entière mais surtout de l’Europe boréale, ils tranchaient avec la population autochtone, petite et noire, « calinissa », qui les logeait dans des masures peintes à la chaux quand ils ne dormaient pas sur la plage.

Le jour, presque nus, la nuit, vêtus de longues tuniques de coton blanc qui faisaient ressortir leurs faces d’Ulysse et scintiller leurs yeux de Niobé, nos kouroi et nos korai faisaient vibrer l’air azuréen d’un éclat qui rivalisait avec l’astre solaire. Une vapeur toujours accompagnait leurs corps allongés sur les rochers blanc immaculé ou longeant la côte outre-mer.

Etait-il nécessaire alors de prendre ces chaloupes surchargées pour aller jusqu’à Délos ? N’avais-je pas sous les yeux le véritable spectacle delphique : celui de la Jeunesse et de la Beauté, de la Lumière et de l’Amour ? Apollons en personnes, Artémis en songe. Ne disait-on pas qu’ « à Delos, il n’y a rien à voir » ? Quelques pierres que des archéologues inventifs transformaient en Temple, en berceau où Latone aurait déposé ses jumeaux.

De toute manière, Zéphyr ne nous laissa pas le choix ; transformé en Melten, nous vîmes les embarcations chavirer au sens figuré et leurs passagers penchés au bastingage défigurés. Délos noyé par la mer démontée se fit mirage, île flottante, conforme au mythe.

En 1975, lors d’un retour de Turquie, nous vîmes les Cyclades de loin ; nulle préoccupation apollonienne alors. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être, simplement parce que nous avions l’âge d’Apollon. Artémis m’accompagnait. Notre bateau pourtant n’était pas tiré par des Cygnes. Mais les chevaux-vapeur de notre Ferry, le transformait en char survolant les eaux et nous profitions de la chaleur et la langueur estivale sur le pont du navire. L’âge adulte, la fin d’une époque que nous ne percevions pas encore. Nos teints halés, nos yeux pas encore totalement décillés ne nous permettaient pas comme l’enfant ou l’homme mûr de percevoir la réalité du moment et de rêver quelque-chose que nous croyions vivre.

En 2003, voir Délos était de l’ordre de l’urgence. Un jeu de quitte ou double. Aurais-je encore l’occasion de voir Athènes ? Nous prîmes le Ferry au Pirée en plein hiver. Le Melten encore une fois c’était mis de la partie. Lorsqu’après la nuit de la tempête, nous découvrîmes les îles, quel enchantement ! Tous les sommets étaient couverts d’une pellicule blanche. A Mykonos, le froid se glissait entre les ruelles ; les pélicans pelotonnés les uns contre les autres sur la plage cherchaient un peu de chaleur. La foule des estivants avait laissé place à des centaines de chats malingres abandonnés de l’été. Nulle chaloupe pour Délos. Sans touristes, point de tourisme…Encore une fois je ne verrai que l’ombre d’une île dans un détroit. C’est l’image que j’en retins et que j’esquissais sur mon billet d’avion avant d’en retracer le contour vague sur un tableau marin. Délos resterait à jamais un lieu imaginaire.

Il restait Delphes. Le Sanctuaire. L’Autre Lieu apollonien. Là, plus aucun obstacle ne pourrait nous arrêter. Les fois précédentes, il faisait chaud, trop chaud. Nous étions désargentés. Hippy sans le sou. Ne voyageant qu’en « stop » ou en transports en commun. Sans être des Yuppies, nous avions loué une voiture pour la semaine et traverser la Grèce n’était en hiver qu’un jeu d’enfants. Aussi, dès notre arrivée au Pirée, nous fonçâmes vers Delphes ou plutôt le village voisin, « Delphes déplacé » au XIXème siècle pour fouiller la cité sacrée, pour y passer la nuit.

Temps sec, ciel lavé, vent froid, l’eau gelait dans les trous d’eau. Delphes par -1 ou -2°C. Les nuits sont froides en Grèce dans les hôtels non chauffés. Les jours aussi. Et pourtant, je ne ressentais rien de tel. Tout m’enchantait. Me remémorant Nietzsche, et la Naissance de la Tragédie, essayant de comprendre cette fascination qui pendant des siècles avait pu réunir les Grecs autour de ce sanctuaire. Est-il vrai que les Grecs ne croyaient pas en leurs Dieux ?

Qui était donc cet Apollon ? Transporté jusqu’à nos jours sur tous les Belvédères ? Pourquoi ce besoin du Beau ? Beauté des corps certes, mais aussi beauté de l’esprit. Apollon, le « Sans Nombre » dont la devise était « Connais-toi toi-même ». Apollon, Dieu de la Lumière, de l’Amour, de la Médecine. Dont le sanctuaire était voué aux jeux pythiques, à la divination de la Pythie. Le dieu de l’ambiguïté et donc des Arts. Comme tout sanctuaire, une source sacrée y naissait. Eau symbole, eau mémorielle, eau purificatrice.

Pour honorer le Dieu, c’est nu que je courus un stade. Héros grec. La nudité accompagne tous les moments sacrés.

MAURESK

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