dimanche 29 mars 2015

à table



À Table

Le Christ est nu les apôtres aussi un calicot blanc pour cacher leurs parties ils sont musclés et pendant la cène le Christ semble taper du poing sur la table Judas ressemble au prince Harry il tâte les seins d’une femme et la foule des philistins regarde la scène comme des esprits sortis de la nuit

Là sans doute ? une tête de St-JB sculptée en terre mongoloïde un mascaron d’esclave dont Salomé a demandé la tête à Hérode son père Elle est posée sur un plateau dans  un papier transparent de bouquet de fleurs Derrière une raie sourit dans un tableau pastiche de la raie de Chardin un poisson vivant semble se précipiter vers elle entrouverte (F.H.S.)

Des poissons il y en a à foison  tête tranchée dents de la mer ou en entier en peau de poisson séchée collée sur un papier-vague (M.Charuel) ou en plomb pendu ou enroulé sur lui-même (V. Dutron) les mets et entremets s’entrelacent dans l’exposition À Table 

On trouve des sacs de pommes de terre comme on en voit plus Des choux en paraffine  mais aussi des salades de toutes sortes un homard sculpté en bois roulé aux pinces dignes des Vingt mille lieues sous les mers (M. Charuel) ou peintures sur papier kraft de légumes variés ou avariés 

Il y a à manger mais aussi à boire les flacons fillettes bouteilles magnums abondent mais aussi carafons  bouteilles géantes en muselières de bouchon de champagne (Suzanna) ou en papier de soie enserrée dans un étui en zinc (V. Dutron) ou tesson de bouteille finement ciselé avec un liseré de plomb complété de rubis enchâssés comme si le vin s’était figé en s’écoulant par la brisure du flacon (M. Laurent) 

Michel Laurent complète sa vision de la table avec peintures collages et mosaïques où la bouteille et le flacon sont surplombés ou soulignés par une femme laissant voir ses atours Ses montages laissent voir la complexité d’un monde dans lequel les choses ne sont jamais figées quand elles sont confrontées au vivant 

La table vit aussi avec la sculpture en plâtre repoussé d’une nappe livrée au souffle du vent sur laquelle est servi un couvert fantomatique (L. Guimier) le socle composé d’une caisse en bois et d’une potence-liseuse en fer forgé rajoute un kitsch indéfinissable à cette table suspendue par du fil de pêche 

Peut-on manger dans ces conditions et quoi manger dans ce monde frêle où la modernité renforce la fragilité de l’humanité si bien que la nature morte de F.H.S. composée d’un établi d’un compotier de pommes pourries de Vico de bouteilles vides et d’un poisson en bois flotté tenant un trognon entre ses dents le tout posé sur une nappe immaculée  est un pied-de-nez à toutes les natures mortes appétissantes « au compotier » 

Sur la table on mange mais aussi on joue aux cartes aux dés et en ce jour de Rameau le jeu de dés est de rigueur la police féminine modernité oblige montée ou démontée attend de pouvoir procéder aux arrestations la soldatesque est prête et affiche « police » au-dessus de ses seins rebondis 

à table on tire la gueule (Lebelle Ribourg F.H.S.) les poissons ont l’air en carton-pâte  est-ce bien à table sur la table que tout se passe ou en dessous de table on fait du pied ou se donne des coups de pied caresse mais aussi gueule-de-bois après un repas trop arrosé et les chants des poivrots montent dans la nuit 

Dans l’embrasure de la porte des cuisines un couple se donne un long baiser qui n’en finit pas sur la toile colorée le frais de la mer les voiles d’un bateau ou le bond d’un jaguar côtoient la cuisinière et les casseroles de cuivre il y a du Brassens dans l’air 

Buvons encore un coup dans ces verres moulés en soie suspendus légèrement dans une toile de gaze (V. Dutron)  

Exposition à table 28-29 mars 2015 Atelier F.H.S. 6 rue Lafontaine, Antony.
Mauresk

jeudi 5 mars 2015

Riralph l'atelier au fil de l'eau



Riralph, l’atelier au fil de l’eau.

C’est le capitaine d’un navire transatlantique ou d’un supertanker amarré dans le port de Rouen et,  de sa capitainerie, une ancienne infirmerie des docks de Rouen, un bâtiment de briques rouges mécaniques, Ralph Ribourg embrasse de son regard le nouveau paysage que la ville industrielle et portuaire millénaire essaie de se donner désormais. 

En face de ses ateliers, le nouveau centre d’art contemporain, des quais aménagés, une promenade, des pistes cyclables. Comme tout le vieux continent, Rouen se tourne vers l’avenir en intégrant dans son tissu urbain les institutions qui accompagnent cette évolution. 

Et pourtant, Riralph reste très éloigné de ce brouhaha culturel. Son atelier relève plutôt de la casemate qui permet de voir sans être vu. Un incognito favorisé par l’état d’abandon des lieux, une friche dans un monde minéralisé où la culture est bureaucratisée  pour l’enlever aux artistes eux-mêmes et permettre aux technocrates du pouvoir de se l’approprier (de Seban à Lasvignes). 

Un art en friche donc en opposition totale avec ce que les experts appellent des œuvres de « qualité muséale » (toujours les mêmes) qui flambent sur le « marché de l’art » entre Lady Gaga à la promo et Lord Gago à la réalisation (raccourcis permis par Philippe Sollers dans « Médium »). Sotheby’s et Karsten Grave n’ont qu’à bien se tenir et Perrotin  préparer ses cimaises. 

Nous entrons dans un dédale  que l’infirmerie dévastée symbolise. Et dans l’attente de sa fin programmée par la spéculation culturelle qui frappe à sa porte, Ralph peint. Il peint entre les flux qui circulent autour de lui, véhicules terrestres sur l’autoroute qui longe le val de seine et navires de toute sorte qui dérivent dans ce qui est déjà l’estuaire du fleuve rouannais. 

Il peint sous l’emprise d’un monde qui ne pénètre ici que de manière filtrée : le ciel et ses mouvances comme l’eau du fleuve et ses tourments restant maîtres des lieux. Capitaine au long court donc que cette peinture dévoile peu à peu. 

Et le dévoilé voilé n’est pas sans clin d’œil avec les peintres du passé  qui, à Rouen,  ont tous trempé leurs pinceaux dans la seine. Une peinture qui rappelle  le claquement des drisses des clippers des temps passés et le gonflement des voiles appelées par la brise et la houle du large.  Une peinture qui se frotte et qui crisse, une peinture au tempo musical tantôt triste et sombre, tantôt doux et ensoleillé. 

Tempête sur la peinture faite d’une geste prompte et scandée par une couleur vive et retenue en même temps. Le peintre arrête sa note au bord du gouffre et nous fait remonter sur la crête de la vague en un clin d’œil. C’est un cycle et un replat en même temps et nous avons tout en bouche d’un coup. 

Les arômes dévastent le palais et les parfums des fleurs sauvages qui entourent son antre pénètrent en effluves saturées le corps du logis. Et puis la pause (ou plutôt des demi-pauses) nous laissent respirer avant que le labourage ne reprenne son sillon. 

Quand le train sifflera-t-il pour Ralph Ribourg ? Nous reprenons le Rapide pour Paris qui survole les méandres de la seine sur des ponts de fer toujours en encorbellement entre ciel et eau.     
                                                                                                                                                       F. Mauresk.