Guillaume Lebelle , « I
s’prend pas l’chou » !
Technique mixte (90.90) 2008.
Avez-vous déjà vu un Lebelle ? Moi ça m’est arrivé il y
a un mois. Je connaissais le peintre, pas sa peinture.
Sur le coup, je me suis demandé qui ça pouvait intéresser.
Un barbouillage, des taches, des coulures. Du déjà vu, un remake des années
cinquante ? La toute fin de l’Art, le degré zéro de la peinture ?
Une peinture fruit du hasard, un grand bazar fait de couleurs
éparses, de flux circulants de haut en bas, de gauche à droite et puis par
endroit des formes, des figurations, des pointillés, comme des signes.
Et puis, la première référence de l’histoire de l’Art qui me
soit venue à l’esprit : CEZANNE ! Rien que ça. Est-ce l’homophonie ou plutôt l’exophonie
Cézanne-Lebelle, la parité du nombre de lettres des deux noms ? Je
m’amusais stupidement de constater l’existence dans les deux noms du même
nombre de voyelles et de consonnes avec cependant chez Lebelle le redoublement
des l.
Oui, Lebelle, c’est du Cézanne qui a pris de l’altitude, de
l’air, les deux ailes qui permettent au peintre et à la peinture du vingt-et-unième
siècle de prendre leur envol. Une
émulsion nouvelle résultat du tremblement du liquide céphalo-rachidien qui
vibre entre la boîte crânienne et la partie laiteuse du cerveau. Ces petits
vibrillements sont la dominante de sa dernière exposition à la Galerie Chartier
sur les pentes de la Croix-Rousse à Lyon.
La toile que j’ai achetée, après moult hésitations, est une
montagne Sainte- Victoire sans la Sainte- Victoire, une recomposition
lebellienne de la Sainte- Victoire si vous voulez où plus rien ne serait en
place. Il se trouve que j’ai une Sainte-Victoire
dans mon bureau et que naturellement j’ai placé mon Lebelle au-dessus de mon
Cézanne. L’effet est saisissant !
Beaucoup de blanc, mais pas un blanc d’œuf, ni un blanc de
baleine, encore moins un Blanc de Blanc, plutôt un blanc d’Espagne ou un blanc
lunaire. Du bleu concentré en tache en certains endroits, le bleu de Cézanne
mais là où le peintre provençal organise son bleu pour construire sa montagne,
notre Creusois de Paris déconstruit pour densifier l’impression de bleu en
certains endroits de la toile. Et puis tout un ensemble de nuances de jaune, de
crème, de rose ou de rosé, des verts aussi mais tout ceci avec légèreté,
douceur, musicalité. Une symphonie, une sonate, un rondeau, une berceuse ou
simplement une chansonnette accompagnant deux amoureux dans un chemin creux.
Sans doute, faudrait-il s’attarder un peu plus sur la
comparaison, se demander plus sérieusement si ces correspondances ont la
moindre véracité, trouver d’autres similitudes entre d’autres toiles de Lebelle
et celles de Cézanne. Mais, là n’est pas mon propos.
Ceci n’est qu’une entrée en matière pour la peinture
lebellienne, une mise en bouche, histoire d’attirer votre regard, de vous faire
virer de bord, de changer le réglage de vos compas, car Lebelle nous emmène
pour un grand voyage.
Nulle prétention chez lui de s’inscrire dans une continuité
quelconque même si son histoire personnelle l’a imprégné de culture picturale
et si les maîtres du passé sont
constamment des défis pour son œuvre de peintre. La peinture de Lebelle est une
peinture bien trempée dans son époque, c’est-à-dire une peinture résultat de
l’osmose entre la chair, l’esprit du peintre et son environnement.
Pas de jugement de valeurs, pas de « message » ce
qui ne veut pas dire « sans message ». Lebelle fait un voyage à travers le temps, un temps
cosmique et un temps humain. Inversant l’idée du « trou noir », c’est dans la
lumière que Lebelle place ses étoiles, des constellations aux formes variées,
des queues de comètes, des supernovas. Mais ici, pas d’effet
« Hubble » ; il ne s’agit pas de rapprocher l’œil de
« l’invisible », cette prétention impossible des scientifiques
lançant leurs télescopes aux confins du monde stellaire. Bien au contraire, il
faut laisser scintiller les étoiles à distance, ne délivrer que des images
lointaines d’un monde dont il ne faut surtout pas percer le mystère, laisser vaquer l’esprit, l’imagination.
Temps humain aussi. Lebelle a intitulé certaines de ses
toiles « Lascaux ». C’est donc un temps humain très-très long qu’il
évoque et en même temps un temps très-très proche. Un hommage à l’Humanité dont
les seules traces qui nous soient
parvenues de son lointain passé sont quelques taches, des maculations, des
tampons, griffures, scories, grattages sur des cailloux, des parois, des
rochers, des grottes, des ossements. Une pluie de signes et de symboles plus ou
moins métaphorisés en décors, animaux, forêts, sources, fleuves et mer voire en
personnages, des dessins enfantins.
Une poésie de couleurs, de points discontinus hiératiques,
comme des cailloux abandonnés par le Petit Poucet sur le long chemin parcouru
par l’Humanité. Une esquisse des sentiments du quotidien signifié par des
silhouettes, des objets, un pinceau peut-être, les instruments de l’artisan à
l’œuvre. Il nous dit ainsi la préoccupation de la modernité, la psychologie, ce
qui a tant travaillé l’art du siècle dernier. Que tout se construit à ce moment
fragile de la formation du petit de l’homme.
Pour nous dire que ce qui prime, ce sont tous ces
« vibrillements » qui irriguent la surface de notre cerveau, le
Peintre est obligé de prendre les grands moyens et de rompre avec tout le
proche passé de la peinture, c’est-à-dire toute l’histoire de la peinture
depuis les débuts de la chrétienté voire les civilisations gréco-romaines non
pour renoncer à Dieu ou aux dieux mais pour nous le, les, faire toucher d’une
nouvelle façon.
Dieu, c’est l’homme façonnant son univers pour le meilleur
et pour le pire. Dieu c’est Moi. Dieu, c’est Toi. Soyons divins nous dit sa
peinture. Et pour cela comme le disait un amateur goûtant son œuvre
« voilà un peintre qui n’se prend pas l’chou ! », il y va
franco, rompant sans couper le lien, sans dire « oui », sans dire
« non ».
C’est cette liberté dans la technique comme dans
l’interprétation qui fait sa force. Est-ce le miracle d’une saison ? Un
moment d’exception ? Ou le début du commencement, d’un épanouissement,
d’une révolution personnelle et peut-être pour la peinture elle-même. Je ne
sais. L’époque ne sait plus rien de ce qu’elle peut engendrer. C’est justement
avec ces peurs que le peintre tranche. Il nous raconte une nouvelle histoire et
il ouvre les portes toutes grandes à ceux qui veulent bien le suivre.
Non pas la fin de l’art mais du Fine Art.
François Mauresk.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire