mercredi 31 août 2011

La fourmi à miel

La Fourmi à Miel

Le débat est ouvert depuis longtemps pour savoir « Qui peint ? ». Cela fait l’objet de polémiques, de batailles d’experts pour attribuer telle œuvre à untel ou untel, pour faire ou défaire des fortunes…

Mais, l’enjeu est encore plus important quand il s’agit de déterminer ce que fait le peintre quand il peint. Pourquoi peint-il et que peint-il ? Les autres, le monde qui l’entoure, lui-même ?

Est-ce la « cosa mentale » de Léonard de Vinci ou, depuis que Freud a « dévoilé le voilé », est-ce un subterfuge du peintre qui connaissant « l’inconscient » pratique l’imposture ou bien, se trompe consciemment ou inconsciemment sur lui-même.

Werner Herzog pose lui aussi cette question dans son dernier film « La grotte des rêves perdus ». Qui est ce peintre pariétal ? Il a un petit doigt tordu nous dit l’une, c’est un vrai artiste dit l’autre. En fait, ils sont plusieurs et se succèdent sur les parois à 5000 ans de distance selon le carbone 14.

Foin de toutes nos préventions, l’art pariétal s’exerce sans complexe : notre Homo Parietalus use de toutes les techniques : la ronde-bosse, le manche en bois pour se hisser à bonne hauteur, la cire, la calcite , le charbon de bois appelé aujourd’hui graphite.

Il joue des volumes de la grotte pour transformer ses aplats en perspectives plongeantes ou en contre-plongée. Ainsi, surgissent des troupeaux de bêtes, des mammouths, des rhinocéros laineux, des ours des cavernes. Mais aussi des loups, des félins : lions des cavernes sans crinière, panthère (la seule de tout l’art rupestre). Et puis cette ronde des chevaux, ce minotaure à tête de taureau et à sexe de femme.

Un art sensuel, la lionne se frotte au lion ou montre les dents. Un art vivant : les rhinocéros entrechoquent leurs cornes et les chevaux font claquer leurs sabots ; les ombres se multiplient devant les flambeaux allumés. Sonore aussi : l’écho des rochers, les chants gutturaux des guerriers ou les prières psalmodiées. Pour transmettre une mémoire peut-être, pour célébrer un culte sûrement !

Homo Spiritualis ? La grotte serait un sanctuaire, dédié aux Dieux, aux Ours, aux êtres surhumains qui nous entourent ! Car qui porte l’âme de cette société de plus de 40 000 ans ? Est-ce l’Homo Sapiens ou un être hybride, mi-homme (rarement représenté) mi-femme (il existe de nombreuses Vénus pariétales) mi-animal ?

La Grotte « Chauvet » serait-elle un sanctuaire dédié à l’Ours (aucun ossement humain n’y a été trouvé mais les ossements d’ours sont surreprésentés). Ou à la femme comme dans le Jura souabe où de nombreuses représentations féminines ont été découvertes. La grotte ne serait-elle alors que la représentation la plus fidèle de l’utérus avec tout ce que cela peut avoir de mystérieux et de caché.

A la question d’un anthropologue qui lui demandait pourquoi il peignait, un aborigène répondit : « ce n’est pas moi qui peint, c’est la fourmi à miel » ! Le peintre n’est pas pour lui celui qui porte le pinceau. Ce dernier n’est que le porte-plume d’un imaginaire social.

Mauresk.

lundi 29 août 2011

Zabriskie point ou la question de l’amour libre.

Zabriskie point ou la question de l’amour libre.

Zabriskie Point n’est pas pour Michelangelo Antonioni seulement un tournant géologique, mais plutôt celui des mœurs en Occident et peut-être pour le monde à la fin des années 60.

Marc veut « mourir » ! Mais « pas d’ennui » ! Il est prêt à s’engager contre la société américaine de son temps ; qui a déjà toutes les caractéristiques de la société américaine d’aujourd’hui, c’est-à-dire de la société mondialisée.

Antonioni nous balade dans une société américaine déjà postindustrielle; même si le marketing commercial dont il nous abreuve dès le début du film concerne le fleuron des géants industriels disparus depuis dans les montagnes russes du capitalisme financier international.

Ce qui meut les étudiants de l’époque, dont Marc fait partie, ce sont encore les passions nées des grandes ruptures du XIXème et du début du XXème siècle. Marc se fait appeler Marx Carl lorsqu’il est emprisonné pour avoir voulu s’intéresser au sort de ses comparses raflés par la police fédérale.

Comment prendre de la hauteur ? Comment créer un choc dans cette société enrégimentée, policière, et occupée seulement d’affairisme et de découpage des activités sociales en micromarchés ?

Marc, d’abord, s’arme comme on peut le faire si facilement dans cette société de libertés, assiste à un crime policier contre un étudiant noir et à une riposte dont il est soupçonné (à tort) être l’auteur.

Aussi il s’enfuit, et en bon héritier de la classe dominante américaine, il « emprunte » un avion et s’envole au-dessus de Los Angeles (déjà une conurbation aux contours indéfinis) puis du désert.

C’est alors que le film devient poétique. Tout est improbable et l’analyse économique et sociologique bascule dans le fantasme et dans le rêve, dans l’utopie.

Marc, après un ballet amoureux avec une voiture survolée dans la Vallée de la Mort atterrit et rencontre Daria. Ils font l’amour dans les dunes, roulent dans le sable et sont rejoints par quelques dizaines d’autres couples qui s’adonnent aux mêmes joies du sexe qu’eux.

Pendant ce temps, un artiste fou repeint l’avion pour en faire le messager de la nouvelle société désirée. Initialement la scène finale, coupée par le PDG de la MGM de l’époque, devait montrer l’avion survolant Los Angeles avec traînant derrière lui une banderole sur laquelle était inscrit : « Fuck you America ».

L’amour libre, c’est aussi la liberté de se quitter. Aussi Daria et Marc retournent à leurs destins. Daria, rejoint Phoenix où elle est attendue en tant que secrétaire d’un promoteur immobilier. Sur la route, elle entend par la radio que Marc a été abattu lorsqu’il a atterri à Los Angeles.

Le film se termine sur un fantasme de Daria : l’explosion répétée de la maison futuriste où architectes, promoteurs et affairistes négocient dans un climat de spéculation qui n’a rien à envier au nôtre.

Plus qu’un rêve, cette scène finale est une peinture surréaliste, du Dali mouvant ou mourant ! Tout explose comme une centrale nucléaire aujourd’hui !

Mauresk

dimanche 21 août 2011

Desgrandchamps

Desgrandchamps

C’est déjà un poème ! Mais le poème se tord très vite, dérape et comme dit le peintre en « fin de partie », « bifurque ».

Au départ, c’est inintéressant : de la copie d’images saisies sur DVD, ce qu’on appelle dans le commerce ou le business comme vous voulez, de la fauche, de la drague, du copyright : c’est condamné par les tribunaux : Rheims en sait quelque-chose ! Et c’est pas du « rince-doigt ».

Mais visiblement le Grand s’en fout. Il a mis ses avocats dans le coup, ou mieux les producteurs, les réalisateurs s’en battent le coquillard du « copyright », ou bien la galerie « Truc » qui sponsorise notre Grandchamp a tout réglé par derrière.

Donc, Desgrand peut utiliser les films, faire des arrêts sur image : Resnais, tintouin et tout le frusquin…et c’est vrai que c’est intéressant ! Prendre la pose au vol ? Impossible avec un modèle ordinaire : i sait pas voler ! Tandis que dans un film et avec le DVD c’est facile (j’en sais quelque-chose j’lai déjà fait) tu fais pause et tu photographies l’image.

Si tu en saisis plusieurs tu peux refaire un film en plus court, style zapping ; recomposer Fellini mais surtout Visconti (c’est long et ça barbe). Par exemple les scènes de regards dans « Mort à Venise »…

Des…Champs prend les images qui « impressionnent la pellicule » ! Pas mal pour un début ! S’intéresse aux détails : pas flagrant au départ puis petit à petit s’infiltre, donne au paysage son « tragique » !

Dans « Le silence « d’Ingmar Bergman, il s’arrête sur le déhanché d’une femme, la haine-amour entre deux femmes, l’ombre d’une femme reflétée par un miroir, ça permet de faire un écart, d’aller ailleurs.

Car à un moment dans sa peinture la forme prend le pas sur le reste ; la peinture l’emporte sur le « réalisme » des scènes figurées des films sélectionnés…

Ça se met à couler, les personnages sont en suspens, sans pied, sans tête, sans mains, sans corps et pourtant là. Fluidité, transparence, tout s’échappe et il ne reste plus de ces personnages de Légendes ou de cinéma qu’une efflorescence, une âme. Alors la Plastique l’emporte sur tout le reste.

A la richesse du propos du début, se substitue la liquidité, l’évanescence . La mer « coule » et est coulure ; le sable, les êtres et ce monde sans espoir nous trouble comme un Chirico. Les personnages vaquent, plongent, marchent mais où vont-ils ?

Ils sont dans un espace-temps infini dont le réel est rappelé par quelques objets. Les tableaux « figuratifs » dirait-on sont « sans titre » « untitled oil on canvas » !

Et puis tout revient à rebours, s’ossifie. Le peintre revient sur la question. Ses chevaux donquichottesques, ses aplats déroutent mêlent et entremêlent les plans dans des diptyques, triptyques, quadriptyques insondables . On voudrait d’ailleurs procéder à d’autres découpages, recompositions, collages de ces tableaux improbables.

Coller l’oiseau à une patte de cheval, enfoncer une tête dans un trou sans fond, sortir la noyée de sa mer baltique …il y a quelque-chose de surréaliste dans ces tableaux noirs.

Mauresk

Desgrandchamps jusqu’au 4 septembre 2011 au MAM.

LEVIATHAN

LEVIATHAN

Il y a quelque-chose de paradoxal dans la sculpture d’Anish Kapoor, il l’a veut abstraite mais s’impose cependant systématiquement de lui donner un nom.

Ainsi en-est-il d’ ASCENSION présentée à Venise en parallèle de la Biennale dans la basilique de Saint Georges. Placée dans le chœur de l’église, la sculpture de Kapoor est composée d’un aspirateur situé au niveau de la coupole et sensé avaler la fumée de cigarettes dégagée par un cendrier géant posé quant à lui devant l’autel.

LEVIATHAN est le nom donné à la sculpture proposée par Kapoor pour MONUMENTA 2011 au Grand Palais à Paris. 15 tonnes de lais de PVC encollés et gonflés composent cette sculpture d’un nouveau-type. Il s’agit de remplir le volume du Grand-Palais caractérisé par sa nef en architecture de fer et de verre qui donne une luminosité « supérieure à celle de l’extérieur » selon A.K.

Mais nommer une sculpture n’est-ce pas prendre le risque de faire passer une œuvre de l’abstraction à une forme de figuration et donc de diriger le spectateur au lieu de le laisser se pénétrer de l’œuvre pour l’interpréter librement ?

Pour Kapoor l’avantage de l’art abstrait sur l’art figuratif c’est d’ouvrir l’espace d’interprétation et de poser des questions philosophiques. A cet égard, le concept d’objet-peau qu’il utilise pour Léviathan s’inscrit dans cette perspective.

La matière en PVC est rouge nous dit-il car c’est la couleur la mieux connue des êtres humains. Elle leur est autant intérieure qu’extérieure et donc est, selon lui, supérieure au bleu. Ses effets d’ombres et de réflexion de la lumière seraient aussi pour lui supérieurs.

Pour Léviathan, l’objet-peau offre au spectateur une expérience inédite. Dès l’entrée, le spectateur est happé à l’intérieur de la sculpture constituée d’une membrane rouge translucide, fluide et chaude qui ne peut manquer de faire penser à un antre, un gouffre, une galerie (aux deux sens du terme) mais aussi évidemment très vite l’intérieur du corps humain et cette partie intime du corps féminin : le con, le vagin, la matrice.

La chaleur, l’oppression tant visuelle que sensitive que nous ressentons nous met assez vite dans une ambivalence qui est celle de se demander si nous nous y sentons bien ou mal. S’il faut y rester et s’il faut en sortir. Ça se termine toujours par une forme d’expulsion.

Ce n’est que dans un deuxième temps que le visiteur prend connaissance de la globalité de l’œuvre, de son extérieur : c’est-à-dire la partie gonflée constituée de sphères reliées les unes aux autres et qui donne un formalisme à l’ensemble immense, rond, rouge. Il peut alors circuler dans la nef du Grand-Palais et s’interroger sur ce qu’il vit à ce monumenta-là !

Est-ce l’expérience du nouveau-né que veut nous faire vivre le sculpteur ? Ces formes sont-elles les cuisses, les fesses, les seins nourriciers de la mère ? Le sculpteur ne cache pas dans les interviews qu’il a données cette analogie.

Mais alors pourquoi LEVIATHAN ? N’aurait-il pas mieux valu FEMINA ?

C’est donc bien pour guider le spectateur que Kapoor nomme son bébé LEVIATHAN.

Nous savons à quoi renvoie cette expression, plutôt à l’oppression qu’à la douceur, plutôt à la force brutale de l’Etat-nation décrite par Bodin et Hobbes plutôt qu’à l’amour maternel et à la tendresse féminine.

Kapoor veut-il nous dire que tout est violence de la naissance à la mort ? Mauresk.

Nouvel-Antony

Nouvel-Antony € € €

Un frisson parcourut l’assemblée lorsque le président de l’A.E.S. (Association des Enseignants du Supérieur contre la démolition de la Résidence Universitaire d’Antony) (Jean Zay) pénétra dans la salle du Conseil municipal.

Etait-ce un frisson de peur ? (comment était-il arrivé là ?) ou de stupeur ? Je ne sais. Mais nul doute, par l’effet qu’il produisit sur l’assistance, je sus d’emblée que mon sujet était là.

Il faut dire que voir entrer le clone de Jean Nouvel juste au moment où celui-ci s’essayait à répondre aux questions de l’opposition à la municipalité Sénant-Devedjian avait quelque-chose de sidérant !

Mon président chauve comme le prix Pritzker, grand comme lui (mais un peu moins enveloppé selon l’avis unanime) et qui accompagnait du mouvement de son corps les gesticulations du célèbre architecte (comme son ombre), semblait mieux connaître l’affaire que le fabuleux Prix !

Il faut dire que l’assemblée ne poussa qu’un cri lorsque notre Nouvel , qui présentait avec emphase son « esquisse d’une esquisse » selon son expression , ne connaissait pas l’emplacement de la rue Lafontaine dans son projet ! Qui est d’ailleurs la seule rue du quartier concerné par son travail !

Le poète-fabuliste (mais s’agit-il bien de lui ?) en serait resté bouche bée ! Mais s’agit-il de poésie ici ? Ou de fable ?

Autour du maire, ce fut l’émoi ! Et chacun de chercher ses mots, pour couper l’herbe sous le pied à une opposition remontée sinon survoltée. Assis entre deux blondes dont l’une regardait ses pieds tandis que l’autre ne trouvait pas assez de mots pour verdir son plumage, notre « maire à tous » malmenait une opposition qui voyait poindre la fin de la RUA (Résidence Universitaire d’Antony).

Toujours est-il qu’il s’agissait ce jour-là de prendre langue sur le projet Nouvel. L’architecte ne fut pas à son meilleur. Ses photos étaient floues ou floutées (question d’art sans doute !) et sa connaissance des lieux approximatives.

Son assistante, blonde (décidément)et à l’accent germanique prononcé, en savait visiblement plus long que le maître… Et sans cesse celui-ci se tournait- vers elle pour préciser son propos. Mais s’agissant « d’une esquisse d’esquisse », l’épreuve fut relative.

Comment justifier la destruction des œuvres de ses prédécesseurs qui ont construit la RUA (Eugène Beaudouin, grand prix de Rome, Architecte des Bâtiments de France... que des catégories bien sous évaluées par rapport à celle de Pri’tzkzer !

Pontifiant dans un discours lénifiant sur l’absurdité d’envoyer les étudiants loger loin des centres-villes selon une mode nouvelle des gouvernants qui s’éloigne trop de la tradition européenne… notre Nouvel indiqua que son « esquisse d’esquisse» n’imposait rien quant au contenu qui n’était pas fixé par lui mais par les élus !

On aurait pu attendre que Nouvel rendit hommage à la Cité-jardin de Beaudouin ? Jamais il n’eut un mot pour ce projet social que furent les cités universitaires des années cinquante. Tout armé de son projet « vert », HQE (Haute Qualité Environnementale), il reconnut cependant la nécessité de garder des témoignages de cette architecture si injustement décriée selon lui mais dont il se contenterait facilement de ne garder qu’un module! « Puisque personne n’avait trouvé moyen de la faire classer ! »

En quelques mots le sort en était jeté : la RUA serait bien détruite ont répété à qui mieux-mieux maire et adjoints en chœur !

En rentrant chez moi, j’allumais la télé pour me changer les idées. Au Soir 3, le présentateur s’attarda sur une manifestation qui avait eu lieu le même jour contre le projet de Jean Nouvel pour…l’île Seguin ! Les opposants avaient perturbé le conseil municipal de la ville concernée. Jean Nouvel répondait doctement que les tours feraient très bien dans le paysage ! Rien sur la RUA.

Mauresk.