La Fourmi à Miel
Le débat est ouvert depuis longtemps pour savoir « Qui peint ? ». Cela fait l’objet de polémiques, de batailles d’experts pour attribuer telle œuvre à untel ou untel, pour faire ou défaire des fortunes…
Mais, l’enjeu est encore plus important quand il s’agit de déterminer ce que fait le peintre quand il peint. Pourquoi peint-il et que peint-il ? Les autres, le monde qui l’entoure, lui-même ?
Est-ce la « cosa mentale » de Léonard de Vinci ou, depuis que Freud a « dévoilé le voilé », est-ce un subterfuge du peintre qui connaissant « l’inconscient » pratique l’imposture ou bien, se trompe consciemment ou inconsciemment sur lui-même.
Werner Herzog pose lui aussi cette question dans son dernier film « La grotte des rêves perdus ». Qui est ce peintre pariétal ? Il a un petit doigt tordu nous dit l’une, c’est un vrai artiste dit l’autre. En fait, ils sont plusieurs et se succèdent sur les parois à 5000 ans de distance selon le carbone 14.
Foin de toutes nos préventions, l’art pariétal s’exerce sans complexe : notre Homo Parietalus use de toutes les techniques : la ronde-bosse, le manche en bois pour se hisser à bonne hauteur, la cire, la calcite , le charbon de bois appelé aujourd’hui graphite.
Il joue des volumes de la grotte pour transformer ses aplats en perspectives plongeantes ou en contre-plongée. Ainsi, surgissent des troupeaux de bêtes, des mammouths, des rhinocéros laineux, des ours des cavernes. Mais aussi des loups, des félins : lions des cavernes sans crinière, panthère (la seule de tout l’art rupestre). Et puis cette ronde des chevaux, ce minotaure à tête de taureau et à sexe de femme.
Un art sensuel, la lionne se frotte au lion ou montre les dents. Un art vivant : les rhinocéros entrechoquent leurs cornes et les chevaux font claquer leurs sabots ; les ombres se multiplient devant les flambeaux allumés. Sonore aussi : l’écho des rochers, les chants gutturaux des guerriers ou les prières psalmodiées. Pour transmettre une mémoire peut-être, pour célébrer un culte sûrement !
Homo Spiritualis ? La grotte serait un sanctuaire, dédié aux Dieux, aux Ours, aux êtres surhumains qui nous entourent ! Car qui porte l’âme de cette société de plus de 40 000 ans ? Est-ce l’Homo Sapiens ou un être hybride, mi-homme (rarement représenté) mi-femme (il existe de nombreuses Vénus pariétales) mi-animal ?
La Grotte « Chauvet » serait-elle un sanctuaire dédié à l’Ours (aucun ossement humain n’y a été trouvé mais les ossements d’ours sont surreprésentés). Ou à la femme comme dans le Jura souabe où de nombreuses représentations féminines ont été découvertes. La grotte ne serait-elle alors que la représentation la plus fidèle de l’utérus avec tout ce que cela peut avoir de mystérieux et de caché.
A la question d’un anthropologue qui lui demandait pourquoi il peignait, un aborigène répondit : « ce n’est pas moi qui peint, c’est la fourmi à miel » ! Le peintre n’est pas pour lui celui qui porte le pinceau. Ce dernier n’est que le porte-plume d’un imaginaire social.
Mauresk.