La Fontaine Enchantée.
F.H.S, technique mixte 2010
cerisier, gaines diverses, fils électriques, câbles numériques, isolants, téléphone portable, sac, torchon, ballon, ordinateur portable, tuyau d'arrosage, pomme d'arrosage, taille-haie, mât d'antenne TV, bouchon de bombe aérosol...
Mauresk : _ comment vous est venue l’idée de cette fontaine ?
F.H.S :_ c’est venu petit à petit.
M. : _ comment ça ?
F. :_ je voulais débarrasser la cave de tout un ensemble de matériaux entassés-accumulés là depuis des années.
M. : mais pourquoi la fontaine enchantée ?
F. : _ au départ, il n’y avait pas de fontaine. Juste un cerisier qui avait donné pendant des années une profusion de fruits et qui était mort l’année précédente. Il avait été décapité pour éviter que les branches mortes ne tombent malencontreusement sur quelqu’un. Et il ne restait donc que la base du tronc et je m’étais dit que je pourrais sculpter dedans un bouddha.
M. : _ un Bouddha ? Pourquoi un Bouddha ?
F. : _ je ne sais pas très bien mais j’avais fait sculpter un bouddha en bois à Katmandou par des sculpteurs Nawars et j’ai logé à Katmandou dans un hôtel dont le jardin était décoré de divers motifs bouddhistes qui m’avaient beaucoup plu.
Et puis, l’art est fait d’un concours de circonstances dans lequel jouent beaucoup l’environnement et les matériaux à disposition. Si bien que l’art devient un dispositif scénique de mises en forme d’éléments divers empruntés à toutes les sphères de l’existence.
M. :_ que voulez-vous dire par là ?
F. : _ rien d’extraordinaire. Simplement que l’art est une interprétation du monde qui mêle des moyens de divers ordre : la « cosa mentale » de Vinci sans doute mais aussi les événements qui nous entourent, les moyens pratiques que notre histoire nous a donné la possibilité de nous approprier plus ou moins bien.
M. :_ pourquoi avoir renoncé au Bouddha ?
F. : _ je n’y ai pas renoncé. Le Bouddha est là sous la sculpture sur le bois de cerisier. Je l’ai peint en 2009 avec la perspective de le sculpter plus tard. Une fois acquises les techniques pour le faire proprement. Un peu comme pour « Laure Manaudou »…
M. :_ « Laure Manaudou » ?
F. :_ oui ! dans l’autre partie du jardin j’ai proposé une sculpture de « Laure » : la « Laure » de Pétrarque bien sûr mais qui prend la forme physique de notre Laure à nous médiatisée sous la forme d’une nageuse. Ma « Laure » est une branche du cerisier qui plonge dans un miroir. Ma sculpture encore une fois est peinte. En attendant de la sculpter, je l’ai proposée à un sculpteur des Beaux-Arts mais cette « idée » de Laure ne lui a pas plu et il a commencé des études de médecine depuis…
M . : vous ne sculptez donc pas ?
F. :_ je sais que sculpter le bois est très « dur » et je n’ai pas beaucoup de temps…le temps me presse tout le temps. Donc, je « sculpte » mentalement et donne une esquisse de sculpture grâce à la peinture.
M. :_ mais revenons à la fontaine… vous m’avez dit qu’au départ ce n’était pas une fontaine mais un Bouddha…comment est-ce venu alors ?
F. : le matériau m’a guidé : toutes ces chutes de « travaux » réalisés dans la maison pour la mettre au goût du jour et qu’on ne voit pas parce que enterrés, encastrés, recouverts de baguettes ou de plâtre. Je les ai littéralement entassés sur le tronc de cerisier. Avec sans doute une idée de forme déjà dans la tête…l’occasion aussi puisqu’il était question d’un mariage…que des artistes refaisaient le décor intérieur d’un salon « en même temps ».
M. : et pourquoi « enchantée » ?
F. : là aussi le titre a précédé la réalisation. Et la réalisation a précédé le baptême. Les deux choses n’avaient rien à voir l’une avec l’autre. Je signais depuis quelques temps des courriers L.F.E : La Fontaine Enchantée… la maison est située rue Lafontaine…et la sculpture s’est d’abord, et s’appelle toujours « les mariés ».
M. :_ les « mariés » ?
F. :_ une protubérance du tronc du cerisier qui devait d’abord donner un peu de ventre à Bouddha ou du moins des rondeurs, m’a ensuite fait penser au « ballon » d’une femme enceinte. Or, la mariée attendait un enfant…et donc progressivement je suis passée à la « mariée » puis par progression successive de la sculpture à une « fusion » et à une « confusion » et donc aux « mariés ».
M. : comment en êtes-vous arrivé à « la fontaine enchantée » ?
F. : depuis quelques temps des maisons du quartier ont changé de propriétaires et toutes sortes d’objets sont mis sur le trottoir…et un jour j’ai trouvé un gros tuyau d’arrosage…que j’ai hésité à ramasser car j’ai tendance à accumuler beaucoup de « poubelles » depuis toujours…et puis de fil en aiguille (c’est le cas de le dire !) j’ai entouré mes mariés d’un tuyau d’arrosage, je l’ai enfilé dans un mât d’antennes de TV et j’ai posé une « pomme » d’arrosage de jardin.
M. : _ la pomme du péché originel ?
F. :_ au départ non, un sculpteur ne sait pas ce qu’il fait mais maintenant on peut dire oui. On peut tenir tous les discours que l’on veut une fois la sculpture terminée.
M. : _ vous savez que « la fontaine » n’est pas un titre anodin pour une sculpture.
F.H.S. : _ bien sûr… mais dans ma tête c’est un peu confus…l’eau, la source c’est l’origine plus que le sexe. Mais il est vrai que « à la claire fontaine allons nous promener »… Et puis ce matin, je viens de lire le livre de B. Marcadé « Marcel Duchamp » et l’histoire de « the fountain » a beaucoup de similitude avec la mienne…sauf que ma fontaine est « enchantée »… et avec ce Bouddha en-dessous certains ne manqueront pas de dire que je renoue avec le sacré… alors qu’en réalité tout est déconnecté.
M. : _ quelles similitudes trouvez-vous entre les deux fontaines ?
F. :_ les matériaux en dépit de leurs différences ; des matériaux qu’on ne considère généralement pas comme « artistiques ». Pour Duchamp la symbolique est forte : un « urinoir » mais celle de mes mariés-fontaine aussi : tous ces câbles, tuyaux, fils électriques, gaines… sont symboliques de toute notre « tuyauterie intérieure », mais aussi « des fluides » qui caractérisent notre société de la communication, de la pollution plastique aux deux sens du terme... On pourrait dire que les hommages sont multiples : le taille-haies métaphorisé en tête et mâchoire fait évidemment allusion à Picasso…
J’ai retrouvé dans le livre de Marcadé tout un ensemble de « désirs » manifestés par Duchamp qui sont synthétisés dans « la fontaine enchantée ». Ainsi, Marcadé rappelle la volonté de Duchamp de faire intervenir « les éléments » dans ses œuvres : le vent, l’air qui conduit d’ailleurs à la destruction de l’œuvre…c’est un peu le cas de ma fontaine dont les « cheveux-sacs-de-pommes-de-terre » volent au vent et dont l’ensemble est soumis aux intempéries.
Marcadé rappelle que « the fountain » a été aussi appelée « Bouddha » : c’est curieux non ?
Mauresk : et pourtant tout cela est le fruit du hasard, non ?
F.H.S. : un hasard fruit de cerveaux interconnectés et soumis à la main qui l’organise, non ?
Mauresk.