mardi 28 décembre 2010

la fontaine enchantée

La Fontaine Enchantée.

F.H.S, technique mixte 2010

cerisier, gaines diverses, fils électriques, câbles numériques, isolants, téléphone portable, sac, torchon, ballon, ordinateur portable, tuyau d'arrosage, pomme d'arrosage, taille-haie, mât d'antenne TV, bouchon de bombe aérosol...

Mauresk : _ comment vous est venue l’idée de cette fontaine ?

F.H.S :_ c’est venu petit à petit.

M. : _ comment ça ?

F. :_ je voulais débarrasser la cave de tout un ensemble de matériaux entassés-accumulés là depuis des années.

M. : mais pourquoi la fontaine enchantée ?

F. : _ au départ, il n’y avait pas de fontaine. Juste un cerisier qui avait donné pendant des années une profusion de fruits et qui était mort l’année précédente. Il avait été décapité pour éviter que les branches mortes ne tombent malencontreusement sur quelqu’un. Et il ne restait donc que la base du tronc et je m’étais dit que je pourrais sculpter dedans un bouddha.

M. : _ un Bouddha ? Pourquoi un Bouddha ?

F. : _ je ne sais pas très bien mais j’avais fait sculpter un bouddha en bois à Katmandou par des sculpteurs Nawars et j’ai logé à Katmandou dans un hôtel dont le jardin était décoré de divers motifs bouddhistes qui m’avaient beaucoup plu.

Et puis, l’art est fait d’un concours de circonstances dans lequel jouent beaucoup l’environnement et les matériaux à disposition. Si bien que l’art devient un dispositif scénique de mises en forme d’éléments divers empruntés à toutes les sphères de l’existence.

M. :_ que voulez-vous dire par là ?

F. : _ rien d’extraordinaire. Simplement que l’art est une interprétation du monde qui mêle des moyens de divers ordre : la « cosa mentale » de Vinci sans doute mais aussi les événements qui nous entourent, les moyens pratiques que notre histoire nous a donné la possibilité de nous approprier plus ou moins bien.

M. :_ pourquoi avoir renoncé au Bouddha ?

F. : _ je n’y ai pas renoncé. Le Bouddha est là sous la sculpture sur le bois de cerisier. Je l’ai peint en 2009 avec la perspective de le sculpter plus tard. Une fois acquises les techniques pour le faire proprement. Un peu comme pour « Laure Manaudou »…

M. :_ « Laure Manaudou » ?

F. :_ oui ! dans l’autre partie du jardin j’ai proposé une sculpture de « Laure » : la « Laure » de Pétrarque bien sûr mais qui prend la forme physique de notre Laure à nous médiatisée sous la forme d’une nageuse. Ma « Laure » est une branche du cerisier qui plonge dans un miroir. Ma sculpture encore une fois est peinte. En attendant de la sculpter, je l’ai proposée à un sculpteur des Beaux-Arts mais cette « idée » de Laure ne lui a pas plu et il a commencé des études de médecine depuis…

M . : vous ne sculptez donc pas ?

F. :_ je sais que sculpter le bois est très « dur » et je n’ai pas beaucoup de temps…le temps me presse tout le temps. Donc, je « sculpte » mentalement et donne une esquisse de sculpture grâce à la peinture.

M. :_ mais revenons à la fontaine… vous m’avez dit qu’au départ ce n’était pas une fontaine mais un Bouddha…comment est-ce venu alors ?

F. : le matériau m’a guidé : toutes ces chutes de « travaux » réalisés dans la maison pour la mettre au goût du jour et qu’on ne voit pas parce que enterrés, encastrés, recouverts de baguettes ou de plâtre. Je les ai littéralement entassés sur le tronc de cerisier. Avec sans doute une idée de forme déjà dans la tête…l’occasion aussi puisqu’il était question d’un mariage…que des artistes refaisaient le décor intérieur d’un salon « en même temps ».

M. : et pourquoi « enchantée » ?

F. : là aussi le titre a précédé la réalisation. Et la réalisation a précédé le baptême. Les deux choses n’avaient rien à voir l’une avec l’autre. Je signais depuis quelques temps des courriers L.F.E : La Fontaine Enchantée… la maison est située rue Lafontaine…et la sculpture s’est d’abord, et s’appelle toujours « les mariés ».

M. :_ les « mariés » ?

F. :_ une protubérance du tronc du cerisier qui devait d’abord donner un peu de ventre à Bouddha ou du moins des rondeurs, m’a ensuite fait penser au « ballon » d’une femme enceinte. Or, la mariée attendait un enfant…et donc progressivement je suis passée à la « mariée » puis par progression successive de la sculpture à une « fusion » et à une « confusion » et donc aux « mariés ».

M. : comment en êtes-vous arrivé à « la fontaine enchantée » ?

F. : depuis quelques temps des maisons du quartier ont changé de propriétaires et toutes sortes d’objets sont mis sur le trottoir…et un jour j’ai trouvé un gros tuyau d’arrosage…que j’ai hésité à ramasser car j’ai tendance à accumuler beaucoup de « poubelles » depuis toujours…et puis de fil en aiguille (c’est le cas de le dire !) j’ai entouré mes mariés d’un tuyau d’arrosage, je l’ai enfilé dans un mât d’antennes de TV et j’ai posé une « pomme » d’arrosage de jardin.

M. : _ la pomme du péché originel ?

F. :_ au départ non, un sculpteur ne sait pas ce qu’il fait mais maintenant on peut dire oui. On peut tenir tous les discours que l’on veut une fois la sculpture terminée.

M. : _ vous savez que « la fontaine » n’est pas un titre anodin pour une sculpture.

F.H.S. : _ bien sûr… mais dans ma tête c’est un peu confus…l’eau, la source c’est l’origine plus que le sexe. Mais il est vrai que « à la claire fontaine allons nous promener »… Et puis ce matin, je viens de lire le livre de B. Marcadé « Marcel Duchamp » et l’histoire de « the fountain » a beaucoup de similitude avec la mienne…sauf que ma fontaine est « enchantée »… et avec ce Bouddha en-dessous certains ne manqueront pas de dire que je renoue avec le sacré… alors qu’en réalité tout est déconnecté.

M. : _ quelles similitudes trouvez-vous entre les deux fontaines ?

F. :_ les matériaux en dépit de leurs différences ; des matériaux qu’on ne considère généralement pas comme « artistiques ». Pour Duchamp la symbolique est forte : un « urinoir » mais celle de mes mariés-fontaine aussi : tous ces câbles, tuyaux, fils électriques, gaines… sont symboliques de toute notre « tuyauterie intérieure », mais aussi « des fluides » qui caractérisent notre société de la communication, de la pollution plastique aux deux sens du terme... On pourrait dire que les hommages sont multiples : le taille-haies métaphorisé en tête et mâchoire fait évidemment allusion à Picasso…

J’ai retrouvé dans le livre de Marcadé tout un ensemble de « désirs » manifestés par Duchamp qui sont synthétisés dans « la fontaine enchantée ». Ainsi, Marcadé rappelle la volonté de Duchamp de faire intervenir « les éléments » dans ses œuvres : le vent, l’air qui conduit d’ailleurs à la destruction de l’œuvre…c’est un peu le cas de ma fontaine dont les « cheveux-sacs-de-pommes-de-terre » volent au vent et dont l’ensemble est soumis aux intempéries.

Marcadé rappelle que « the fountain » a été aussi appelée « Bouddha » : c’est curieux non ?

Mauresk : et pourtant tout cela est le fruit du hasard, non ?

F.H.S. : un hasard fruit de cerveaux interconnectés et soumis à la main qui l’organise, non ?

Mauresk.

lundi 20 décembre 2010

« Que quoi ? » (suite) : description.

Guillaume Lebelle, Ralph Ribour : technique mixte, 2010.

Cadre pièce (5,00 X 3,94 X 2,91), plafond « à la française » à caissons décorés de papier peint « fin de siècle » (XIXème ?), style : « chinoiseries » dragons, monstres… parquet « Versailles » « authentique » : provenance du château ?, cheminée marbre à manteau décoré de deux naïades à queues de sirènes et bandeau orné d’une tête de léopard, surmontée d’un trumeau décoré de guirlandes de bois sculpté avec nœud (kitch) plus fausse fenêtre à carreaux de vitrail, murs à lambris « vert d’eau » avec panneaux blancs cadres dorés, deux portes doubles dont une avec miroirs entrants et l’autre miroirs sortants, poignées rondes de porcelaine, surmontées de têtes de nymphes (Flore) coiffées de tiares « clef de sol » et chevelures-nattes mêlées de fruits de « toutes sortes », plus une porte simple sculptée poignée de bronze « Napoléon III », baie de vitrail (par moitié)néo-gothique avec ogives, Fleurs de Lys et Croix de Saint-André, pourpre, or et « vert d’eau », plomb ciselé, chute de verre signé d’un poinçon Franc-maçon (S . : S . :) Frère Trois Points.

Vues sur rampe de balcon fleurdelisée et jardin « Moyen-âge » à l’Est, entrée style « Grenade » « néo-mauresque » au Sud, « Atelier d’artiste » « néo-gothique-néo-mauresque » toile F.H.S. « Le Sauvage » dit aussi « le barbare (hommage à Ivan Halimi) »(2006 ?) + « Déconstruction (Le Sauvage ) » par Lebelle (2008) (annotée au dos « prêt à F. Faugeron jusqu’en 2012 ») + Trois « Hercule et lion de Némée » (moulages en terre de X. par F.H.S. (2010), piano quart-de-queue Pleyel (1923 signé), autres meubles et objets dont « Zorro » de R. Ribour (gouache, 2010) à l’Ouest. Lingerie au Nord (diverses machines, marques indifférentes, table à repasser façon Beaux-arts, readymade).

Sur : _ Panneau Nord : Porte simple surmontée du « chiffre » du Propriétaire « F » de Fouquet pour F.F. avec photo numérique de F.F. par Verluise (Théâtre royal de Fontainebleau, 2010) (Samsung D60, tirage sur HP C3180, cartouches épuisées) (retouches R.Ribour « style momie égyptienne » avec serpent en bois de cagette peint (en partie), blanc de titane, et rehauts de fusain Lebelle, fixatif ( ?). Le tout « recomposé-décomposé ».

Porte : décor simple. Arabesques « non-arabe », brisures de miroir, collées « fléchissant », dorures F.H.S. « sur et sous » blanc « fond de teint ».

Trumeau : simple de Simples (style Cocteau (Chapelle de Milly-la-Forêt)) bleu Bourbon. Sculpture « aérienne », « flambée de découpes de cagettes (Les Halles) » bleutées (légèrement). Avec : miroir réfléchissant double selon angle et lumière du Sud complexe (style « Opticks » (1704) de Newton). Nuages et volutes alternativement bleuis, blanchis et noircis. Carreaux de planchettes de cagettes, idem (R.Ribour ).

Manteau blanchi « par erreur » (White Spirit : « Blanc d’Esprit ») (F.H.S 200?) et reblanchi «à chaud » « avec bonheur » par Lebelle. Rajouts F.H.S. : Sacrum de Sagone, Os de Seiche du Liamone (« l’arbre aux trois os »), Bois flottés du grau du Liamone (le tout faisant sculpture (non signée- F.H.S), copie du « Baiser de Rodin » en « résine de savon » teintée « façon acajou »), mariés en polyuréthane (pièce montée pâtissier renommé d’Orsay), « l’Argent » : cadre doré (solde Nobilis), clochette de salle-à-manger en bronze, convertisseur TV HD-numérique. Sur le devant deux sculptures : Nus du Bénin (don D. Miscopein), faisant pendant les Naïades (XVIIIème S.) le tout entouré de dorures diverses (F.H.S.).

Colonne droite : idem gauche (non décrite) + petite peinture Lebelle gondolée (Venise). Rehauts de cagette bleuissante (Ribour).

Panneau droit : divers collages (ou plutôt « original » agrafages (agrafes marque inconnue)). Carrés du Louvre ( ?) ou du « Loup » ! Graphismes, graphes et agrafages graves… fusains (supposés Lebelle), influences diverses dont Vinci, Eiffel, Michaux, -dière) : pointillisme, tachisme, « dripping » (non sure). R. Ribour « à la manœuvre » : échelle et « courte-échelle » ! Vert « green », orange « orange ». Divers fusains sur basalte de cagette (« cheap »). Sculpture bois décalée, agrafée. Restauration (juin 2010, œuvre en cours), clouée, F.H.S..

_ Panneau Est : en fonction de la saison : nord-est/est/sud-est. Sur noisetiers, façon Monet (saule-pleureur). Plein-Soleil. Ou, lumière froide de soleil couchant.

Gauche. Faux marouflage de fusain : Mondrian Noir. Marouflage de cagette(s, peut-être) : Vrai. Lune, quartiers d’hiver. Rattrapages angles morts. Lebelle et Ribour total. Pas de F.H.S.. Au plafond, spot orange-fluo blanchi « à la moelle ». Au sol, éclairage F.H.S. bleu « Castorama »-marocain. Poste de TV (mire blanc-noir en harmonie/ bleue disharmonie). New Age.

Droit. Grisaille. Ou lavis. Estampe chinoise ou japonaise (plutôt chinoise !). Tête de loup. Noir de fumée. Encadrement dorure par intervalle blanchie (dominante or). Sur les côtés, marouflage sporadique…rappels de vitrail : faux pourpre, faux Bleu de France (qualité de gouache inconnue mais raffinée). Devant : « œil de bœuf » façon Lebelle (F.H.S.) : sur drap, impression d’oiseaux-mouches (temps des amours) becquetants et « vibrillants ») sur chevalet années 70 en hêtre massif.

Au centre. A travers la vitre estampillée S :. (deux fois), rampe blanche avec rehauts de peinture jaune sur Fleurs de Lys.

_ Panneau Sud : à gauche, authentique- faux- marouflage de lavis-estampe chinoise : paysage d’eau ou d’air ou oiseaux: fusain « à la main ». Rien à dire. Poésie. Double ou copie (presque) : G. Lebelle, 2008-2010, « En même temps » (Galerie Hus) : « je m’enfonce », « je coule », « je vole ».

Double porte : Marouflage de contre-plaqués (vissage sur portes miroitées (R.Ribour)). « Succès ». Esquisses de lavis ou de gouaches bleues et blanches et noires et vertes et de contre-plaqué. « Exceptionnel ». Adam et Eve. Sodome et Gomorrhe (Hommage à Dürer). « Emotions».

En contre-champ, « l’homme à la bicyclette » (F.H.S.) : « qu’est-ce que ça fait là ? ». Au-dessus, Flore « à la tiare et aux fruits ». Os de seiche (du Liamone) (Ribour, rehaut de fusain (Lebelle ( ?))). Rajouts : portraits des peintres-sculpteurs par F.H.S. : effet de miroir : « Les Ménines », Vélasquez ( photos numériques Samsung (idem), tirage HP, cartouches correctes) ; rejets de cagettes bleutées, blanchies, noircies. (F.H.S.) (Phraseur).

A droite : méli-mélo. Composition mixte : cagette, repeints, faux-miroirs, posidonie « écrasée », fusains, pastels et aquarelle (peut-être). Dessous : chaise de jardin en alu-peint-blanc avec posé dessus un Canson vert-green taché de blanc… (rajout-pas-rajout de F.H.S.). Radiateur de fonte avec brillances diverses.

_ Panneau-Nord : Au nord-haut craies de couleurs diverses pour identification (provisoire et à effacer (éventuellement) : « fgr » (F.H.S.)). Au nord-centre, cinq plaques d’aciers clouées (diversement). Stries de scie circulaire. Tendance faux-miroirs. Rehauts d’huiles, noir de fumée, verts « green », jaunes... Reflets. Miroirs (vrais). Intercalés : papiers orange fluo, rehauts de blanc.

« Déroute ». Ou « Eaux ». Ou « Abymes » ?

Dessous : dessus radiateur de fonte années 20, lampe de labo-photo début de siècle ( XXème, arrière grand-père Gabuet), éclairage rouge, sculpture : bois flotté et 3 posidonies (F.H.S.), dessous collage divers (GL et RR), accroché au radiateur, sac orange fluo (Colours of Beneton).

Au noroit, crochet X, fleur séchée (« p’tite fleur aimée »). « La grossesse » dans cadre doré (soldes Nobilis). Brisures de miroirs. Dessous, posé sur le parquet : « œil de bœuf » (sur drap (façon Lebelle): « Sterns au-dessus de l’Arctique » (« toile » : F.H.S. (2010)). Non loin flambeau Art Nouveau (provenance Bourg-la-Reine, sans prétention).

Encore plus noroit, double porte miroitée (miroirs 2000). Divers fusains et papiers orangés blanchis plus ou moins glissés sur les glaces. Bas de portes : fusains de R.Ribour (Les jumeaux) agrandis (A3) et photocopiés sur Rank Xerox, collés (colle à bois). Dans l’encadrement, faux miroirs en carrés de papier argent tenus par des tasseaux de cagettes peints. Au-dessus « Flore à la tiare et aux fruits… » (rajouts).

Abondance.

Œuvre inachevée.

Rajouts F.H.S. 2010. Mauresk.

samedi 11 décembre 2010

Que quoi ?

En banlieue vient d’ouvrir une exposition intitulée : « Que quoi ? » _ Titre étrange ! S’il en est !

Quelles circonstances pour telle question ? Naturellement, nous disjonctons !

Quels événements devancent tel énoncé ? Comment répondre à la question ? Ensemble vide ou ensemble plein ?

Ensemble vaste, infini, dit-on ! Qu’un résumé falsifie tout. Réduire l’ensemble aux éléments ?

A la gageure, nous répondons : « quelques éléments ? En quelque-sorte échantillon, sondage, panel ! » Voilà la méthode ! la bonne : résumer ladite idée énoncée par ledit ensemble !

S’impose ici la statistique. Avec son arsenal de ratios : moyenne, écart-type, variance, espérance !

Le mot est lancé : Espérance. De quoi ou « que quoi ? ».

L’échantillon ne doit-il pas être représentatif de la réalité ? Ou n’est-il en réalité représentatif que d’une partie de la réalité ? Une réalité donc subjective, c’est-à-dire fonction du sujet qui propose cet échantillon.

Devant l’amas d’archives quoi ou « que quoi ? » traiter ? Comme l’historien : choisir, éliminer, censurer ou, au contraire mettre en avant, valoriser, énoncer vrai ou faux ( ?) avec force argumentation, problématisation, présentation des faits et logique déductive.

Le subjectivisme l’emporte-t-il toujours sur l’objectivisme ? L’époque, la psychologie, l’histoire, le point de vue… Et voilà notre peinture des mœurs, des normes et des valeurs obligée de repentirs !

Ethno-, anthropo-, ego- centrisme voilà les concepts à la mode. Ils sont choux avec leurs Mots, leurs Archives du Nord, leurs égo-histoires !

« Que quoi ? » appelle, dans ces conditions, une réponse plus simple, plus déterminée…même si la réponse à une telle question n’est pas fermée.

Celui qui y répond, peut mettre tout ce qu’il veut : c’est-à-dire de rien (l’ensemble vide) à l’infini sans craindre la critique.

C’est Lui qui délivre la réponse au « que quoi ? ». Et, personne n’a à y redire !

Mais, que voit-on dans l’exposition : « Que quoi ? » ?

Je ne sais pas s’il faut en dévoiler le contenu. La surprise ne serait-elle pas gâchée par des révélations, des descriptions ! Pourquoi pas non plus des photos ?

Est-on sûr qu’elles donneraient une juste idée du contenant et du contenu ?

Il existe cependant un bémol à toutes ces tergiversations. Il est en fait très difficile de voir l’exposition : « Que quoi ? » …la banlieue…des grilles, des horaires à coucher dehors, des chiens de garde, un loup-garou … Visiblement, il faut montrer patte blanche !

Mauresk

Guillaume Lebelle, « En même temps », Peintures 2008-2010, Galerie Hus, 4 rue Aristide Bruant, 75018 Paris.

vendredi 10 décembre 2010

En présence d’un clown, d’Ingmar Bergman (1997).

« Je coule ! » Exclamation terminale du film, En présence d’un clown, sorti d’abord en téléfilm en 1997, alors qu’Ingmar Bergman a renoncé au cinéma et se consacre au théâtre et à la TV.

De quel naufrage nous parle le grand cinéaste ? Le sien, le nôtre ? Celui du cinéma, de la civilisation ? « Tout est dans tout », pourrait-on dire. Et comme toujours, Ingmar Bergman mêle les histoires et l’Histoire. Il se raconte et nous raconte.

Des histoires individuelles, il y en a donc. Un ingénieur et un universitaire se rencontrent dans la chambre d’un hôpital psychiatrique. Des êtres intelligents mais déjà fous !

Et qui mettent en boîte tout le monde ; l’infirmière poursuivie par la lubricité de l’un, le médecin qui abandonne très vite le terrain…mais aussi nous, prêts à adhérer à leur fantasme de la vie et de leur rapport au monde.

Nous sommes en 1925, mais leur histoire est la nôtre. Ils veulent s’épater et épater le monde. Ils ont le projet de rendre le cinéma parlant, et se lancent dans l’aventure comme on part à la conquête de l’espace.

A leur projet adhèrent les enthousiastes, leurs femmes, des femmes et nous sommes transportés dans un chalet où ils projettent leurs fantasmes. Le film est le moyen qu’ils choisissent pour opérer des détours : draguer, être ou ne pas être.

Le public est là aussi : des notables, des voisins attirés comme des lucioles par ce feu intérieur qui brûle quelque-part. L’aventure tourne court. Le procédé est mis à mal par une technique explosive. Le projecteur s’enflamme et la salle aussi. Mais, pas d’affolement !

Nos aventuriers de l’Humanité ne se découragent pas et reprennent le thème du film au théâtre. Entre temps les acteurs changent mais le scénario reste le même.

De quoi s’agit-il au fait ? De l’histoire de Schubert frappé de maladie vénérienne et qui peu à peu sombre dans la folie.

Je coule oui, « je coule »… Mauresk

mardi 7 décembre 2010

qui a peur de virginia woolf ?

Qui a peur de Virginia Woolf ?

Virginia ou Woolf ? Qui est la Vierge, qui est le Loup ? Est-ce un traquenard ? Quelle Vierge est tombée dans la gueule de quel Loup?

Oui, c’est une fable que nous raconte Edward Albee dans « Qui a peur de Virginia Woolf ? » montée aux Gémeaux par Dominique Pitoiset. La fable du Loup et de la Vierge, dans laquelle nous ne savons pas bien qui est le Loup et qui est la Vierge.

Nick et Honey, un jeune couple récemment arrivé sur le campus d’une université du Middlewest, sont reçus chez Martha et George à deux heures du matin après une soirée déjà bien arrosée. Les deux hommes sont enseignants et ou chercheurs.

Un jeu de rôles se met progressivement en place entre les quatre acteurs, véritable quête de la Vérité de chaque être. Comme chez Pirandello, ces jeux successifs permettent, peu à peu, de révéler les buts, les désirs et les moyens utilisés par chacun pour parvenir à ses fins.

Le jeu de rôles permet des coups de théâtre et de renverser les situations. Celui qui apparaît le plus fort dans certaines circonstances se révèle d’une faiblesse et d’une fragilité extrême dans d’autres.

Martha et George mènent la danse visiblement. Ils ont des « heures de vol » derrière eux, et ne peuvent plus faire l’impasse de leurs impasses. Mais Nick et Honey, sous l’apparente naïveté des débutants, sont très vite confrontés à leur propre histoire et ne peuvent y échapper.

A quatre, à trois ou à deux, les scènes se succèdent et, par petites touches, mettent au jour les dits et les non-dits du parcours de chacun. Avec au cœur de la question : la rencontre, le mariage, la procréation.

Si Martha semble la plus cynique et George un professionnel raté, Nick un biologiste plein d’allant et Honey une souris naïve, peu à peu, chacun apparaît sous son vrai visage : Honey vomit sa vie, Nick un être ambitieux sans scrupule, George un être lucide et désabusé, Martha une femme meurtrie.

La pièce, très enlevée, grâce à une mise en scène très réussie de Dominique Pitoiset, est un bijou d’échanges croisés au rythme haletant.

Mauresk

lundi 6 décembre 2010

Sex-voto : tache et chatte à la tâche.

Il me semble qu’il s’appelle Stef. Il pousse un diable. Et je lui demande : « qu’est-ce que tu transportes ? ». _ « mon âme » me répond-il.

Au-dessus de lui une grande flèche rouge-sang indique la direction à suivre. Sous la flèche, une pancarte indique : « sex-voto ».

Un escalier en colimaçon mène comme à un gouffre masqué par la forme d’un escalier de cave. Je descends guidé par Cédric. Il ne tient pas la chandelle mais c’est tout comme.

Au fur et à mesure que nous descendons la lumière se tamise. Sans doute est-elle électrique. Mais pour le moment c’est moi qui le suis.

Dans la crypte tout est blanc. Le « sex-voto » est placé sous le signe de l’Immaculée Conception visiblement. Ma vue se brouille. Est-ce sous l’effet des lumières vacillantes ou sous l’emprise des mélanges qui m’ont mené de Burdeau en Leynaud et de Leynaud aux Capucins ?

Un ex-voto est une offrande (tableau, statuette, plaque gravée…) faite en reconnaissance d’un vœu, ou selon un second sens : au gré de ses désirs. Il y a donc ambiguïté : ou bien il s’agit de remercier pour le vœu exaucé, ou bien il s’agit de prier pour que le vœu soit exaucé.

« Sex-voto » serait donc : « merci pour le sexe » ou « merci de me donner du sexe » !?.

En tous les cas, il s’agit de parler sexe. Ce n’est pas nouveau et ça se fait depuis longtemps. Mais, cela justifie-t-il un ex-voto ? Pardon, un « sex-voto » ?

Les adolescents d’aujourd’hui comme les hippies d’hier aiment arborer sur leur tee-shirt : YONI ou IONY. Le O est le plus souvent remplacé par un cœur.

Ce qui fait : « I love New-York ». Mais combien savent qu’ils arborent en fait le nom du sexe féminin en hindou : YONI ou IONY? S’agit-il d’un « Sex-voto » mondialisé ?

Il en existe toute une déclinaison désormais : I love ... Paris, London, Roma, Berlin, Tokyo etc…ce qui évidemment brouille les sens…

Au cimetière de Pashupatinath à Katmandou, des dizaines de chapelles alignées le long de la rivière sacrée Bagmati contiennent autant de LINGAM démesurés enserrés dans les YONI correspondants. Le LINGAM est le sexe mâle. S’agit-il de « sexs-votos» hindous ?

Pourquoi tourner autour du pot ? Le sexe nous obsède et toutes les sociétés l’ont magnifié ou l’ont banni. Ou l’ont magnifié pour le bannir…

Une récente exposition au musée des Arts Premiers nous a montré une vision ludique de la sexualité chez les Mochicas qui aimaient disposer dans leurs tombes des objets dotés de beaux phallus et des accouplements heureux.

Le bouddhisme tantrique a une perception plus explosive de la sexualité mais le Kama Soutra voisin est d’un érotisme raffiné. Songeons aussi aux Shunga japonais chargés de porter bonheur aux guerriers ou d’éduquer les jeunes filles…

Dans l’occident chrétien, la défense des « valeurs familiales» de la Contre-Réforme à G.W.Bush ou à Sarah Palin fait du sexe un objet de contrition. N’est-il pas le péché originel ?

Mais pas à toutes les époques ! Les « sexs-votos » de Michel-Ange sont en « chair et en os » si je puis dire. Il est vrai, vite recouverts de feuilles de vigne. Mais ne vient-on pas de les nettoyer ?

Nos artistes de l’Atelier L’attache à Lyon ont-ils renouvelé la performance ? Remercient-ils ou prient-ils ?


Les deux me semble-t-il.

Dans la crypte « sans tache », on célèbre dans un coin les noces de Ken et Barbie sous force voilure de crêpe blanc et dans une lumière éthérée. A côté, un os pénien est l’objet de toutes les attentions : le prie-t-on ?

Tandis que Cédric (qui toujours m’accompagne dans cette Visitation New Age), m’explique que son installation évoque l’apprentissage heureux d’une sexualité d’adulescent qui n'était pas à la tâche...

Un matelas blanc portant la marque d’un corps transpirant(ou peut-être, l’ombre spectrale du corps souffrant dans le monde des ombres) est posé sur des pis gonflés d’air (blanc immaculé aussi) qui m’évoquent des poupées gonflables, la gonflette du jeune mâle ou des capotes dézinguées.

Suis-je sous l’emprise d’un stupéfiant ?

Au mur, suspendus tels des "ex-votos du sex-voto", une courgette « ne me suffit plus » (peinte en blanc) et des cassettes-VHS-cul(tes) de l’apprentissage de la sexualité (elles aussi blanches).

Les kleenex (usagés) et l’oreiller (en plumes véritables) posés sur le matelas sont les objets nécessaires à l’évocation de l’onanisme, la sublimation et la masturbation. L’oreiller étant (« c’est bien connu !») l’objet transitionnel par excellence !

Au pied du lit (sans pieds), une TV dévide, en continu, deux heures de film porno (en boucle). Les manipulations sexuelles se faisant avec des gants en latex. Est-ce parce que le sexe est redoutable ou à redouter ?

Sans doute les sexs-votos sont aussi là pour conjurer maladies vénériennes, syndromes de Kaposi et SIDA.


Pas de sex-voto de chatte à l’Attache cependant.

Mauresk.

Atelier L’attache, 7 rue des Capucins, 69001 Lyon.

jeudi 2 décembre 2010

Eugène Leroy.

Peintre ou sculpteur ? Des croûtes ou des bas-reliefs ? Des roches ou des eaux profondes ? Abstrait ou figuratif ? Des couleurs ou la négation de la couleur ?

Des ombres et de la lumière. Le message d’Eugène Leroy nous échappe. Sûrement un peintre torturé ! Il paraît que non.

Et pourtant quelle violence dans cet éclatement des tubes de peinture sur la toile dans un enchevêtrement d’épaisseurs. Renouvèle-t-il la peinture au couteau ? Il écrase, il grave sa peinture plus qu’il ne la lisse.

La croûte ! Terme péjoratif par excellence, pour les amateurs de peinture et souvent un public non averti, désigne quelque-chose de grossier, de pas léché (au propre comme au figuré).

La belle peinture n’est-elle pas lisse, sans aspérité. Une technique d’abord avant que d’être un art ? Et sans doute E. Leroy y-a-t-il prétendu un jour comme tout peintre en herbe.

Cette peinture est donc un aboutissement. Le résultat de mutations, de digestions, une régurgitation. N’est-ce pas l’effet voulu d’ailleurs ? Des gris, des bruns, des blancs avec quelques pointes de couleurs enfoncées dans ce magma informe, une vomissure, un dégueulis.

Leroy n’a pu échapper à la problématique de son époque, à la Tragédie ! Elle est là, elle déborde. Elle coule comme une lave visqueuse, ces laves cordées que déglutissent les volcans. C’est le résultat de l’explosion, de la fournaise.

La fournaise ? On en perçoit le fond chaud et brûlant ! Un sexe, une fente, une bouche béante ! Une rougeur, un feu sacré ? Un corps ? Un nu ? Oui tout est là !

Au fond de l’enfer, il fait chaud. Alors, faut-il y aller ?

Mauresk.

Eugène Leroy à la Galerie de France jusqu’au 4 décembre

Ça sert à quoi de peindre aujourd’hui ?

(lire le post-scriptum pour ceux qui ont lu l'article avant la critique de "Matthias le Peintre").

Une question de tous les temps : « ça sert à quoi de peindre aujourd’hui ? » Pourquoi peindre ? Que fait-on lorsque nous peignons ? Y a-t-il exorcisme ? De quoi ?

La peinture apporte-t-elle des réponses à l’existence ? Nous dit-elle « E » (epsilon) : « Tu es » ? ou comme à l’entrée de Delphes : « Connais-toi toi-même ? ».

Cette question de la peinture est redondante. Matthias Grünewald, le peintre du Retable d’Issenheim, se la pose comme tout peintre qui réfléchit à son art. Mais la question n’a pas de réponse.

Et pourtant, je, tu, il peins (t). La couleur s’étale ; j’ai envie que ce soit beau et le plus souvent je suis déçu. Et pourtant, quand je porte mon dessin à maman que me dit-elle ? « C’est beau » !

Par ces mots, elle me ravit. Elle m’apprend « le Beau », me l’inculque malgré elle, fait que toute ma vie je cherche « le Beau ». Toujours me trompant sans doute, mais toujours essayant.

Comme lorsqu’elle dit à son enfant qu’il est beau. C’est quoi le « Beau ». C’est quoi ce que cherche maman dans son enfant, dans un dessin, des gribouillages, des coulures plus ou moins bien étalées sur un papier ?

Quelqu’un me dira-t-il encore la Beauté ? En suis-je encore capable ? Le défi n’est-il pas insurmontable ?

Et puis quand on regarde autour de soi. Toute cette violence, ce monde insatisfait qui se défait, cette lutte sans merci pour survivre, trouver sa place, la conserver. Cette négligence !

Alors la peinture oui, la peinture encore et toujours. Retourner à la table. Tourner le dos à la classe. Prendre son pinceau, ses couleurs et sans frein que soi-même se lancer. Il y a des risques c’est vrai que ce soit laid. Qu’il faille froisser le papier, abandonner une œuvre imparfaite.

Et pourtant E (epsilon) existe par ce geste ; E se confronte à soi-même ; propose par ce geste même une autre Geste.

Un autre monde existe, à portée de tous ; là, il suffit de regarder, de porter son œil sur les êtres et les choses. Découvrir et redécouvrir l’infini des possibles pour chacun d’entre nous. Sans doute ce qui fait Courbet appeler son paysage de mer à Palavas : « Marée basse, soleil couchant (Immensité) ».

La parenthèse est l’E de la dénomination du tableau : (Immensité) ! Importance accentuée par la majuscule. Ce qui donne au tableau son sens véritable par son ambiguïté même.

Ce n’est pas la plage, ce n’est pas le ciel, c’est l’Immensité que nous peint Courbet. A portée de main, d’œil, il y a l’infini de la terre et du cosmos. Regardons-le.

Dans le Retable d’Issenheim, Grünewald nous dit la même chose : il y a l’immense douleur des guerres et des hommes, mais qu’est-elle à côté du Sacrifice du Fils de Dieu pour nous ? Immensité du Sacrifice qui dépasse l’immensité de la douleur.

Le Sauveur n’a-t-il pas été sacrifié sur le Golgotha, là où fut enterré le Premier Homme ? Le premier Pêcheur !

PS : Je suis allé voir l’Opéra de Paul Hindemith « Mathis der Maler ». Ce n’est pas un bon opéra. La trame en est confuse ; l’histoire complexe est très difficile à mettre en scène. C’est une narration découpée en parties quasi étanches les unes avec les autres ce qui enlève toute cohérence à l’ensemble.

De ce fait, il est très difficile de suivre le spectacle ; la musique est contrariée par une mise en scène absconse qui happe notre concentration sans nous donner les clés du fonctionnement de l’opéra et de la scène. Ce qui rend l’ensemble illisible.

Les Sept Tableaux de l’opéra sont d’une esthétique douteuse. La critique et la présentation du spectacle insiste sur le parallèle entre la situation au temps de la Guerre des Paysans et la montée d’Hitler au pouvoir. Mais fallait-il à ce point, insister sur cette ressemblance ?

Hindemith la souhaitait-elle ? N’est-ce pas plutôt un artefact contemporain fait de contrition et de repentance ? Le char, les troupes bolchévisées, la Nuit de Cristal, le Christ culotté, le retable désacralisé : tout est lourd, vulgaire et confus. Comme l’époque sans doute ! La nôtre !

Mais ça ne crée nulle émotion, tue l’intérêt et on quitte l’opéra en se demandant ce qu’on est venu y faire.

Mauresk.

Ça sert à quoi de peindre aujourd’hui ?

Une question de tous les temps : « ça sert à quoi de peindre aujourd’hui ? » Pourquoi peindre ? Que fait-on lorsque nous peignons ? Y a-t-il exorcisme ? De quoi ?

La peinture apporte-t-elle des réponses à l’existence ? Nous dit-elle « E » (epsilon) : « Tu es » ? ou comme à l’entrée de Delphes : « Connais-toi toi-même ? ».

Cette question de la peinture est redondante. Matthias Grünewald, le peintre du Retable d’Issenheim, se la pose comme tout peintre qui réfléchit à son art. Mais la question n’a pas de réponse.

Et pourtant, je, tu, il peins (t). La couleur s’étale ; j’ai envie que ce soit beau et le plus souvent je suis déçu. Et pourtant, quand je porte mon dessin à maman que me dit-elle ? « C’est beau » !

Par ces mots, elle me ravit. Elle m’apprend « le Beau », me l’inculque malgré elle, fait que toute ma vie je cherche « le Beau ». Toujours me trompant sans doute, mais toujours essayant.

Comme lorsqu’elle dit à son enfant qu’il est beau. C’est quoi le « Beau ». C’est quoi ce que cherche maman dans son enfant, dans un dessin, des gribouillages, des coulures plus ou moins bien étalées sur un papier ?

Quelqu’un me dira-t-il encore la Beauté ? En suis-je encore capable ? Le défi n’est-il pas insurmontable ?

Et puis quand on regarde autour de soi. Toute cette violence, ce monde insatisfait qui se défait, cette lutte sans merci pour survivre, trouver sa place, la conserver. Cette négligence !

Alors la peinture oui, la peinture encore et toujours. Retourner à la table. Tourner le dos à la classe. Prendre son pinceau, ses couleurs et sans frein que soi-même se lancer. Il y a des risques c’est vrai que ce soit laid. Qu’il faille froisser le papier, abandonner une œuvre imparfaite.

Et pourtant E (epsilon) existe par ce geste ; E se confronte à soi-même ; propose par ce geste même une autre Geste.

Un autre monde existe, à portée de tous ; là, il suffit de regarder, de porter son œil sur les êtres et les choses. Découvrir et redécouvrir l’infini des possibles pour chacun d’entre nous. Sans doute ce qui fait Courbet appeler son paysage de mer à Palavas : « Marée basse, soleil couchant (Immensité) ».

La parenthèse est l’E de la dénomination du tableau : (Immensité) ! Importance accentuée par la majuscule. Ce qui donne au tableau son sens véritable par son ambiguïté même.

Ce n’est pas la plage, ce n’est pas le ciel, c’est l’Immensité que nous peint Courbet. A portée de main, d’œil, il y a l’infini de la terre et du cosmos. Regardons-le.

Dans le Retable d’Issenheim, Grünewald nous dit la même chose : il y a l’immense douleur des guerres et des hommes, mais qu’est-elle à côté du Sacrifice du Fils de Dieu pour nous ? Immensité du Sacrifice qui dépasse l’immensité de la douleur.

Le Sauveur n’a-t-il pas été sacrifié sur le Golgotha, là où fut enterré le Premier Homme ? Le premier Pêcheur !

PS : Je suis allé voir l’Opéra de Paul Hindemith « Mathis der Maler ». Ce n’est pas un bon opéra. La trame en est confuse ; l’histoire complexe est très difficile à mettre en scène. C’est une narration découpée en parties quasi étanches les unes avec les autres ce qui enlève toute cohérence à l’ensemble.

De ce fait, il est très difficile de suivre le spectacle ; la musique est contrariée par une mise en scène absconse qui happe notre concentration sans nous donner les clés du fonctionnement de l’opéra et de la scène. Ce qui rend l’ensemble illisible.

Les Sept Tableaux de l’opéra sont d’une esthétique douteuse. La critique et la présentation du spectacle insiste sur le parallèle entre la situation au temps de la Guerre des Paysans et la montée d’Hitler au pouvoir. Mais fallait-il à ce point, insister sur cette ressemblance ?

Hindemith la souhaitait-elle ? N’est-ce pas plutôt un artefact contemporain fait de contrition et de repentance ? Le char, les troupes bolchévisées, la Nuit de Cristal, le Christ culotté, le retable désacralisé : tout est lourd, vulgaire et confus. Comme l’époque sans doute ! La nôtre !

Mais ça ne crée nulle émotion, tue l’intérêt et on quitte l’opéra en se demandant ce qu’on est venu y faire.

Mauresk.

vendredi 12 novembre 2010

Être ou ne pas être Rigoletto ?

Difficile d’entendre le dernier commentaire de la speakerine allemande d’Arte samedi 2 octobre alors que les spectateurs de La Fenice sifflent le metteur en scène Daniele Abbado de Rigoletto de Giuseppe Verdi.

Pourtant rien à nos yeux ne justifie ces sifflements sélectionnés. Car, chanteurs et orchestration ont été chaudement applaudis…Qu’attend-on d’un Rigoletto de 2010 ? Un Opéra en costumes d’époque ? Une mascarade vénitienne de masques et de bergamasques ?

Le public de La Fenice est-il si « romantique » qu’il ne puisse accepter comme décor qu’un Mantoue moyenâgeux, un duc couvert de brocards d’or, une Giulia recouverte d’une mantille de broderie castillane ? Lui faut-il une reconstitution de pavés du roi, une auberge éclairée à la bougie et une enseigne vantant le Chianti de 1851 ?

Non, ce qui était touchant dans la mise en scène de D. Abbado, c’était l’actualisation de l’affaire de Rigoletto. Non pas une affaire dépassée, celle du « droit de cuissage » des Grands vis-à-vis des Petits !

Mais le drame de tout père qui voit lui échapper son enfant, sa fille. Cette enfant cachée, choyée devenue femme sans que son père ne s’en aperçoive. Et convoitée, désirée par l’appétit féroce et insatiable du libertin.

Drame d’une enfant d’autant plus vulnérable que maintenue loin de tout contact avec la société, elle ne peut pas l’affronter. Un peu comme toutes ces jouvencelles, ces nymphes de nos beaux quartiers bercées par leurs rêves et leurs mythes de Prince charmant et qui se laissent embarquées par le premier inconnu qui leur fait une œillade.

Sans doute est-ce pour cela qu’Abbado adopte des costumes contemporains pour ses personnages, élime le décor pour éviter de lui donner une quelconque connotation historique, adopte un éclairage froid mais franc qui ne nous laisse pas sombrer dans une dramaturgie dépassée.

Giulia, c’est une jeune fille d’aujourd’hui, le duc un « mauvais » garçon de toujours qui aime séduire et conquérir, la vénalité de l’aubergiste une pratique éternelle. Manger, gagner de l’argent, satisfaire ses besoins sexuels. C’est ce qu’Abbado nous montre crument et avec une réussite certaine : la lecture de sa mise en scène est limpide grâce à ses choix.

Du coup, Rigoletto gagne en cohérence. Ce personnage dont le nom même prête au burlesque et à la bouffonnerie devient de manière ambigüe attachant. Être ou ne pas être Rigoletto ? Nos rires se coincent au fond de notre gorge comme ceux de la cour de Mantoue qui participe du stratagème ducal.

Ce qui n’était que farce, déculottage devient équivoque, drame. Folie du père pour sa fille, folie de l’amour naissant , folie d’un monde déréglé qui conduit par le plus pur des sentiments au massacre de l’innocence.

Mauresk.

Arman à Beaubourg.

1969. _ Arman, qu’est-ce qu’un artiste ? _ Ce n’est pas tant quelqu’un qui donne à voir, que quelqu’un qui donne à penser.

_ Êtes-vous un artiste révolutionnaire ? _ Révolutionnaire non, révolté oui. Tout artiste est quelque-part révolté.

Arman travaille aux usines Renault. Avec son allure de camionneur, sa gouaille d’homme du peuple, Arman donne le change. Il sait y faire pour mettre dans sa poche le journaliste, l’esthète, l’homme politique (G.Pompidou), l’industriel. Il n’est pas ouvrier mais artiste-invité. Une « résidence !» dirions-nous aujourd’hui.

Tout ce qu’il faut pour ne pas dépendre du marché, mais attirer les mécènes. Il prépare pour l’exposition universelle d’Osaka (1966), une « accumulation » dont il a le secret. Elle sera placée en bout de parcours dans le Pavillon français. Quelqu’un, à côté de lui pendant la vidéo, lui dit que cela lui fait penser à un vitrail.

Silence religieux : la France, le Vitrail, la Culture, la Peinture, la Sculpture, l’Histoire de l’Art, Arman. Tout est dit.

Arman s’inscrit dans la tradition de la Peinture, de l’Art. Serait-il le nouveau Vinci ? Il ne décline pas l’hypothèse. Il se revendique comme un continuateur. Certes, il décompose plus qu’il ne compose : les guitares, les mandolines…mais, n’est-ce pas prendre la suite des cubistes, de Picasso, de Tatline ?

Retours en arrière.

Arman est dans un appartement new yorkais pour une galerie de renom. C’est la mode du Happening, de l’Installation, de la Révolte artistique. Son ami Klein peignait avec des corps. Arman sculpte avec son corps.

Il prend une masse et détruit un salon (Conscious vandalism, 1975). On reconnaît le style de l’époque. Les papiers au mur sont cinétiques, orangés avec motif répétitif industriel. Il y en a encore dans nos maisons mais, le goût changeant, ces papiers disparaissent à grande vitesse.

Arman se saisit ensuite d’une hache de pompier et finit de massacrer le mobilier. Avec un cutter, il lacère les canapés. Le tout est reconstitué à Beaubourg avec le film en prime. Il est indiqué devant le salon en miettes dans un espace de dix mètres carrés : « Ne pas toucher, fragile » !

Arman se met en scène. Il est le seul personnage de son travail artistique. Ce n’est pas en tant que camionneur qu’il apparaît, mais en loubard-motard de banlieue, veste cuir, bottes, barbe poivre et sel, sans doute plus de cinquante ans à l’époque. Il se déchaîne (au sens propre et figuré s’entend).

Ses autoportraits sont constitués d’objets enfermés sous plexiglas : il prend ses vêtements, les plient plus ou moins bien, on peut y reconnaître « un hasard calculé » et l’ensemble a effectivement une dimension artistique (Portraits-robots). Nous pouvons même nous poser des questions sur la propreté des sous-vêtements exposés-dissimulés. Il réalise ainsi le portrait-robot de sa compagne.

Jeune, Arman a rompu avec « l’art abstrait », pour se centrer sur l’objet. Sans doute est-ce la clé d’explication de la disparition de l’Homme dans son travail artistique. L’objet envahit tout son art comme il envahit toute la société de l’après-guerre avec la mise en place de la société de consommation.

Ce « turn-pike » dans son œuvre, entraîne en chaîne :

_ les « Accumulations » ( de scies égoïnes, de machines à écrire, de rasoirs électriques, de poupées (Birth control 1962), de pièces auto),

_ les « Colères » ( mise en pièce de piano, violons, contrebasses, instruments à cordes et à vents, coucou suisse « Colère suisse »),

_ les « Ordures » (garbage and full up) concentrées sous plexiglas constituées de fonds de cendrier, de poubelles municipales (poubelles des Halles ou de Milan)ou d’hommes célèbres, d’ordures organiques en décomposition sous plexiglas toujours, déchets bourgeois…

_ les « Combustions » de fauteuil Louis XV, Prie-Dieu, Bonnetière, Violons accumulés et rangés comme des livres sous résine (Bibliothèque d’Alexandrie) : tout disparaîtra !

L’objet envahit tout, à plus soif, nous enferme, nous écrase. Reprenant le titre du recueil d’Arthur Rimbaud, n’intitule-t-il pas une de ses œuvres « Une saison en enfer» ?

Nous crèverons sous nos propres déchets semble-t-il nous dire. L’Homme ne serait-il que Pollution ?

Mauresk

Ça sert à quoi de peindre aujourd’hui ?

Une question de tous les temps : « ça sert à quoi de peindre aujourd’hui ? » Pourquoi peindre ? Que fait-on lorsque nous peignons ? Y a-t-il exorcisme ? De quoi ?

La peinture apporte-t-elle des réponses à l’existence ? Nous dit-elle « E » (epsilon) : « Tu es » ? ou comme à l’entrée de Delphes : « Connais-toi toi-même ? ».

Cette question de la peinture est redondante. Matthias Grünewald, le peintre du Retable d’Issenheim se la pose comme tout peintre qui réfléchit à son art. Mais la question n’a pas de réponse.

Et pourtant, je, tu, il peins (t). La couleur s’étale ; j’ai envie que ce soit beau et le plus souvent je suis déçu. Et pourtant, quand je porte mon dessin à maman que me dit-elle ? « C’est beau » !

Par ces mots, elle me ravit. Elle m’apprend « le Beau », me l’inculque malgré elle, fait que toute ma vie je cherche « le Beau ». Toujours me trompant sans doute, mais toujours essayant.

Comme lorsqu’elle dit à son enfant qu’il est beau. C’est quoi le « Beau ». C’est quoi ce que cherche maman dans son enfant, dans un dessin, des gribouillages, des coulures plus ou moins bien étalées sur un papier ?

Quelqu’un me dira-t-il encore la Beauté ? En suis-je encore capable ? Le défi n’est-il pas insurmontable ?

Et puis quand on regarde autour de soi. Toute cette violence, ce monde insatisfait qui se défait, cette lutte sans merci pour survivre, trouver sa place, la conserver.

Alors la peinture oui, la peinture encore et toujours. Retourner à la table. Tourner le dos à la classe. Prendre son pinceau, ses couleurs et sans frein que soi-même se lancer. Il y a des risques c’est vrai que ce soit laid. Qu’il faille froisser le papier, abandonner une œuvre imparfaite.

Et pourtant E (epsilon) existe par ce geste ; E se confronte à soi-même ; propose par ce geste même une autre Geste.

Un autre monde existe, à portée de tous ; là, il suffit de regarder, de porter son œil sur les êtres et les choses. Découvrir et redécouvrir l’infini des possibles pour chacun d’entre nous. Sans doute ce qui fait Courbet appelé son paysage de mer à Palavas : « Marée basse, soleil couchant (Immensité).

La parenthèse est l’E de la dénomination du tableau : (Immensité) ! Importance accentuée par la majuscule. Ce qui donne au tableau son sens véritable par son ambiguïté même.

Ce n’est pas la plage, ce n’est pas le ciel, c’est l’immensité que nous peint Courbet. A portée de main, d’œil, il y a l’infini de la terre et du cosmos. Regardons-le.

Dans le Retable d’Issenheim, Grünewald nous dit la même chose : il y a l’immense douleur des guerres et des hommes, mais qu’est-elle à côté du Sacrifice du Fils de Dieu pour nous ? Immensité du Sacrifice qui dépasse l’immensité de la douleur.

Le Sauveur n’a-t-il pas été sacrifié sur le Golgotha, là où fut enterré le Premier Homme ? Le premier Pêcheur ! Mauresk.

dimanche 17 octobre 2010

Monet croustillant !

Le Grand-Palais nous a ouvert l’appétit. Le musée Marmottan a excité nos papilles. Nous avions attendu les dernières salles pour goûter Monet aux Champs-Elysées. Nous avons divagué au Bois-de-Boulogne.

Il faut avouer que l’exposition de Marmottan commence avec de sacrés amuse-gueules qui nous réconcilient avec l’humanité. L’humanité ? En fait, les amis de Monet. Ceux qui lui ont ouvert la voie : Boudin et Jongkind.

Boudin présent grâce à deux petits tableaux qui sont des merveilles, en particulier « sur la plage »(1863) : l’impressionnisme est déjà né ! Jongkind à la sensibilité exacerbée, pour qui la lumière ne fait pas tout, avec ses aquarelles d’Avignon et de Port-Vendres si poétiques.

Être ainsi entouré pour son baptême de peintre ne pouvait qu’engager Monet dans une voie qu’il ne devait plus quitter : la lumière oui, mais la sensibilité surtout et l’engagement de surcroît !

Des amis, Monet en a eu beaucoup : Renoir, L’Huilier, Séverac, Morisot, Caillebotte … Tous l’ont portraituré à qui mieux-mieux mais sans jamais donné la même impression du personnage. Comme si Monet était insaisissable, un caméléon !

N’est-ce pas d’ailleurs la version que nous en donne Renoir avec qui Monet peignait à la Grenouillère d’Argenteuil : des portraits floutés, une « impression soleil levant… ».

Le musée Marmottan se prête bien à cette sociabilité et cette intimité ; l’accrochage bourgeois qu’il nous propose dans les premières salles qui sont aussi les salons de l’hôtel particulier est propice à ces peintures de chevalet. Il crée un climat, une chaleur propice à nous charmer prolongés par les portraits de la famille : Camille, la première épouse, Jean et Michel les garçons nés de cette union.

Il recèle aussi de véritables merveilles, fruits des donations multiples dont le musée a bénéficié, en particulier de Michel Monet. Toiles d’autant plus précieuses que Monet les avait conservées en raison de l’importance qu’il leur accordait.

Nous avons aimé les vues de Bordighera (le château Dolaacqua- 1884 et Valle de Sasso-1884) un tournant dans la peinture de Monet mais aussi les effets « rose », « du soir » de la Seine à Port-Villez ou à Giverny. La barque si importante pour comprendre le virage de la fin de vie de Monet.

Mais aussi les « croûtes » dont Monet est si friand sur la Creuse au pont de Charing Cross ou encore les blancs laiteux et éblouissants au point de faire mal aux yeux (Fumées dans le brouillard (pont de Charing Cross), les maisons roses ou bleues des Paysages de Norvège-1895).

Ces « croûtes » nous savons l’importance que Monet leur accordait. Car, leur raison d’être était picturale : accrocher la lumière, donner du volume, créer une architecture en trois dimensions sur une toile qui n’en a que deux, apriori.

Elles n’arrivent pas tout de suite et elles ne s’imposent que progressivement mais à la fin de la vie de Monet, elles envahissent l’atelier. Savoir que Monet voulaient les conserver montre toute l’importance qu’elles jouaient pour lui. Pour sa peinture bien sûr, mais aussi pour la peinture en général. C’est avec les « croûtes » qu’il s’engage. Qu’il devient sculpteur!

Les commentaires qui accompagnent généralement cette fin de période, seraient que Monet ne voyait plus rien, que la cataracte modifiait les couleurs qu’il percevait etc. que des appréciations dépréciatives faisant de Monet un peintre diminué.

Ce qui est paradoxal puisque dans le même temps, il donnait, du moins aux yeux du grand public, le meilleur de lui-même avec les Nymphéas de l’Orangerie des Tuileries. ! Alors, « Monet gâteux » ou « Monet engagé » ?

Il nous semble que Monet atteint avec ses « croûtes » un niveau d’abstraction comme le siècle le réclame. Ce n’est plus la lumière qui l’intéresse mais la plastique de son art, la matière. Il pousse alors au maximum les intuitions de sa maturité celles de Bordighera, celles de la barque, qui explosent avec les « séries » de saules pleureurs et de ponts japonais.

Du coup, c’est à un Monet engagé dans le siècle naissant que nous avons affaire. Là encore, contrairement à une idée répandue (peut-être par lui-même d’ailleurs), la peinture de Monet ne s’inscrit pas contre son temps à la fin de sa vie. Ce qui le marginalise, c’est peut-être que le public n’ait retenu de lui que les Nymphéas de l’Orangerie, mal reçues par l’Avant-garde.

Revisiter Monet nous semble du coup nécessaire. Et quand on l’expose de respecter plus la chronologie ou le tempo proposé à savoir « la chronologie des croûtes » ! Tout ça est appétissant, voire croustillant !

Mauresk

samedi 9 octobre 2010

Kaboom

Entre mythes et fantasmes, avec Kaboom Gregg Ariki nous balade dans le monde, rêvé par lui, de l’adolescence. Aux Etats-Unis, le campus est l’espace emblématique de tous les apprentissages d’une jeunesse débordée par sa sensualité, ses désirs, ses fantasmes.

Et Gregg Ariki pousse au bout cette machinerie grâce à toutes les techniques mises à sa disposition par la société.

Smith, est l’archétype de l’individu à peine sorti de l’enfance, qui en 2010 est à la congruence de tout un ensemble de réseaux qu’il maîtrise plus ou moins bien.

Onirique, le film l’est en plaçant au cœur de l’intrigue la sexualité et la difficulté rencontrée par Smith pour assumer ses fantasmes et aller au bout de ses désirs. La sexualité n’est plus taboue dans la génération estudiantine américaine semble nous dire G. Ariki, et Smith peut faire valoir l’ambivalence de ses désirs.

Attraction pour le corps viril de son colocataire hétéro-Thor mais, aussi proie des désirs voraces des rencontres fortuites que lui propose la rude vie du campus : la belle London qui adore les gays, un inconnu qui se jette sur Smith la première fois qu’il fait l’expérience d’une plage nudiste.

La dé-réalité de la situation est renforcée par l’absorption de « space cake », qui comme le L.S.D dans les années 70, transporte notre fragile adolescent dans un monde à la Lewis Carol où il affronte de façon quasi-paranoïaque des forces maléfiques, des hommes de main d’une association criminelle qui portent des masques d’animaux, une secte dont il apprend qu’elle est dirigée par son père et qui veut provoquer la fin du monde…

Bien évidemment, tout ceci est amplifié par la rapidité des connections du monde moderne : l’information circule à la vitesse du haut débit et des échanges par téléphones portables. Si bien qu’aucun secret d’ordre social ou sexuel ne dépasse le quart de seconde, et les personnages sont pris dans un tourbillon de situations plus rocambolesques les unes que les autres dans la recherche de la satisfaction de tous leurs désirs d’ordre moral (secourir), religieux (assumer son destin), pervers ( mettre sous influence), sexuel (homo-, hétéro-,bi-, triolisme…)

La chromo du film comme sa chrono lui donne une touche psychédélique qui en dépit de sa modernité nous fait pencher dans un mythe rétro des années 70. Tout est flou, fluo et fou jusqu’à l’explosion thermonucléaire finale. Mauresk

dimanche 26 septembre 2010

La Cerisaie (au deux sens du mot).

Monet a-t-il peint des cerisaies ? Sûrement ! Des cerisaies en fleurs : un océan de fleurs comme il peint les coquelicots ou l’écume des vagues à Port Coton. Monet nous parle-t-il de nostalgie lorsqu’il peint un paysage ? Ou arrête-t-il le temps et son âme pour nous donner à voir un moment ineffable qui ne se reproduira plus.

Car au temps de la photographie, il n’y a pas de reproduction possible de la lumière qui passe. Elle passe comme la fragrance d’un parfum, comme le regard d’une femme, comme le désir entre deux amoureux, comme un sourire, une attitude, un être qui nous est cher et qu’il nous sera impossible de saisir, de garder pour soi.

L’impermanence des choses, c’est ce que nous raconte Monet, le paysagiste. Car, si le paysage pourrait avoir quelque-chose d’immuable dans sa composition, son ordonnancement, sa position, le temps, au deux sens du mot (le temps qui passe et le temps qu’il fait), aura tôt fait de lui donner une nouvelle forme, un nouvel air, une nouvelle atmosphère (au deux sens des mots…).

Est-ce la même histoire que nous raconte Tchékhov, le contemporain de Monet ? Que nous peint-il, notre dramaturge russe ? S’agit-il d’un bouquet de fleurs, du chatoiement des peaux, d’un déjeuner sur l’herbe ou plutôt du temps qui passe, de l’impossibilité d’être, de l’être qui ne peut pas ne pas être ?

Tchékhov nous raconte une cerisaie : une terre, des arbres qui nous parlent comme des ombres sorties des ténèbres. Ils nous raconte, les cerisiers, le temps passé, les temps heureux ou moins heureux, des souvenirs qui ne peuvent que tourner dans nos têtes, qui ne peuvent être que ressassés.

Les personnages arrivent en groupe dans la propriété de Lioubov Anndéevna Ranevskaïa. Ils arrivent de Paris, de Karkhov ou de Moscou. Lioubov est la propriétaire de la cerisaie. Les autres sont frère Leonid, filles Ania et Varia, gouvernante Charlotta, femme de chambre, valet Yacha, comptable de Lioubov. Mais aussi un étudiant Piotr Serguéevitch Trofimov , un marchand Ermolaî Alexéevitch Lopakhine, un spéculateur de domaines Boris Borissovitch Epikhonov.

C’est le dernier été de la Cerisaie. Bientôt la hache frappera sourdement le tronc des arbres vénérables. Personne n’y croit, en dehors des matérialistes capitalistes Lopakhine et Epikhonov. Lopakhine essaie de convaincre Lioubov de lotir, de partager la cerisaie en lopins pour construire des datchas. Avec le développement du tourisme, tout ça rapportera une rente. Des roubles, encore des roubles…

Couper la cerisaie ? Est-ce possible ? Est-ce pensable ? A quel monde appartient-il ? A quel monde appartiennent-ils ? Pour, ne serait-ce que songer, à diviser, exterminer, faire disparaître « à la bougie » un souvenir, une idée, un sentiment ?

Car, c’est de cela qu’il s’agit ? De l’âme de tous ces personnages qui se côtoient, qui échangent entre eux, qui expriment leurs désirs, qui vivent…mais, aussi, qui évoluent chacun pour soi, avec ses rêves, ses fantasmes, ses incapacités à sortir du monde qui les a fait naître et leur a, du même coup forgé un destin.

Peuvent-ils lutter ? Peuvent-ils agir ? Mais le faut-il ? Semblent-ils tous dire, au risque de subir une déchéance fatale…Vendre la cerisaie ? C’est vendre une âme. Ceux qui l’achètent s’essaient à en acquérir une. Ils ont vue la brillance et s’achètent une histoire.

« Êtes-vous capable de tomber ? » dit Lioubov à Yacha, l’étudiant. « Il faut savoir tomber amoureux ». Toute La Cerisaie est dans cette réplique. Car Lioubov est amour depuis toujours. Lioubov ne signifie-t-il pas « Amour » en russe ?

Lioubov accepte tout. De son amant « qui vous a dépouillée », de ses filles dont elle veut faire le bonheur, de « ses gens » auxquels elle prodigue l’argent qu’elle n’a plus « en rentrant je vais te donner l’argent qu’il me reste. Ermolaï Alexeïtch , vous m’en prêterez encore !... ».

Lioubov, jouée magnifiquement, dans la mise en scène de Julie Brochen, par Jeanne Balibar !

Mais aucun personnage ne peut sortir de ce qu’il est. « Je n’ai pas envie d’être beau » dit Pétia (Trefimov), l’étudiant ! « Nous sommes au-dessus de l’amour. » dit-il à Ania. Et, Ania, fortement éprise de Pétia : « Qu’avez-vous fait de moi, Pétia, pourquoi est-ce que je n’aime plus notre cerisaie comme je l’aimais avant ? ».

La roue tourne ! Et seuls les souvenirs restent. Le 22 août, La cerisaie est vendue « à la bougie ». Et, c’est Lopakhine, le paysan enrichi, le fils de moujik, le Koulak, qui rachète le domaine. Pour le dépecer, construire des datchas, faire de l’argent avec l’argent…Le fils de serf devenu seigneur à force d’accumulation.

Tout le monde s’en va le cœur léger… Gaev, frère de Lioubov : « Avant la vente de la cerisaie, nous étions tous sans dessus dessous, nous avons souffert, et maintenant que la chose est réglée définitivement, tout le mode s’est calmé, nous avons même retrouvé notre bonne humeur… ».

Tout le monde sauf Lioubov. Elle suffoque, elle meurt , elle voudrait retrouver son fils qui s’est noyé enfant dans les eaux de la Volga. Elle coule le long, au fond de La Cerisaie.

Mauresk.

Nuits d’ivresse printanière.

Ce que nous apprennent les films sur l’homosexualité masculine, c’est que l’homosexualité ne peut pas être seulement une histoire d’hommes. Comme si l’homosexualité ne pouvait exister que par rapport à (j’allais dire "son contraire") l’hétérosexualité.

Comme si l’homosexualité n’était qu’une variante de l’hétérosexualité, justement. Et non son contraire. Comme si cette opposition homo /hétéro n’était qu’une construction sociale avec toutes les conséquences psychologiques pour tous, mais aussi macro-sociales.

Peut-être jamais aucun discours n’a mieux que « Nuits d’ivresse printanière » décrit cet état de fait. A travers les amours successives de Wang Ping et Lu Haitao pour Jiang Cheng, le réalisateur Lou Ye nous raconte avant tout une histoire d’amour et de jalousie.

Jalousie de la femme de Wang Ping qui fait suivre son mari par Lu Haitao. Désir de Lu Haitao pour Jiang Cheng quand la découverte du pot aux roses rompt la relation de Wang Ping et Jiang Cheng, conduisant au suicide de Wang Ping.

Désir et Jalousie de Li Jing pour son ami Lu Haitao séduit à son tour par Jiang Cheng. Détresse de la femme de Wang Ping qui pour se venger de la destruction de son foyer essaie d’assassiner Jiang Cheng.

Les sens sont exaltés par le trouble jeté dans la vie de chacun par la révélation de l’ensemble de ces sentiments passionnés. Et si l’homosexualité pimente l’histoire, Lo Ye ne fait pas de la passion cachée d’un homme pour un autre homme le cœur de son film.

Ce qui l’intéresse et ce qui nous intéresse, c’est la tendresse de tous ses personnages. C’est la banalité de leur quotidien et de leur environnement. Les décors sont d’une banalité extrême. Les activités des personnages ceux de la Chine d’aujourd’hui.

L’une est ouvrière du textile dans une usine de contrefaçon ; un autre est libraire, journaliste ou tient une boutique de vêtements. On circule en voiture sur des autoroutes de la Chine moderne. On danse, fume, boit dans les boîtes de nuit où se retrouve la jeunesse chinoise.

En même temps, les scènes sont d’une crudité terrible pour tous les personnages. Un espace, une vie qui ne laisse place qu’à la banalité, est transmué en un univers de fantasmes par la seule force de l’amour que les êtres se portent les uns aux autres, et son revers, la jalousie.

L'amour est clandestin. C'est ce que nous montre Lou Ye. L'ivresse vient de là. Et tous veulent boire la coupe jusqu'à la lie. Mais la clandestinité est difficile à vivre pour tous ceux qui y sont confrontés.

Les scènes d’amour entre hommes sont d’un érotisme inégalé ; mais ce qui nous marque est la formule de tous les amants délaissés, hommes-femmes confondus : « tu me manques ».

Une fleur accompagne le film : la fleur de Lotus. Un thème est revendiqué tout le long du film : l’efflorescence. Et Lou Ye nous rappelle que le poète chinois dit : « Une fleur est l’image du monde ». La femme est fleur mais l’homme aussi.

Mauresk

mercredi 15 septembre 2010

Christian Boltanski : personnes

Au Grand Palais, Boltanski nous propose une performance intitulée « Personnes ». Nommez son travail implique forcément une interprétation. L’intituler « Personnes » n’est donc pas innocent. Au singulier « Personne » renvoie à toute une culture occidentale qui spontanément fait penser à la façon dont Ulysse se nomme dans l’Odyssée quand Polyphème, le Cyclope, lui demande son identité.

Se nommer « personne », c’est une ruse mais c’est aussi une revendication. Ulysse se met ainsi au rang du quidam. Un parmi tant d’autres, un inconnu, et même la négation d’être. Qui est une position dans la société occidentale, celle de l’anonymat. De ne vouloir n’être rien de plus que son voisin tout aussi inconnu. Ce qui est évidemment l’inverse de la revendication médiatique que nous connaissons bien aujourd’hui qui impose aujourd’hui à chacun d’être et de revendiquer une identité.

Au risque de ne pas exister pour les autres mais aussi pour soi-même. Ce qui peut conduire à des comportements anomiques pour être malgré soi. Aussi, Boltanski qui « est » dans l’univers hyper-médiatisé dans lequel nous vivons et qui grâce à cette existence peut mobiliser les institutions, les fonds publics et l’attention des média se propose d’être l’interprète des autres « personnes ».

Car, au pluriel « personnes » ne peut se comprendre sans un article défini ou indéfini. Il n’y a pas « personne » derrière « personnes » mais bien une identification. Quelle est-elle voilà tout le problème.

Si vous entrez dans le Grand Palais sans connaître grand-chose de Boltanski et de ses préoccupations et que du fait de la foule à l’entrée, vous loupez l’entrée en matière que constitue le mur qui sépare l’entrée des visiteurs de la performance proprement dite alors vous avez un champ possible d’interprétations.

C’était mon cas lors de l’inauguration de l’exposition. Et alors vous tombez sur un vaste espace sous la grande verrière divisé en grands rectangles couverts de vêtements étalés avec au fond un cône de très grande hauteur lui-même constitué d’un amas de vêtements qu’une grue surplombe et fait semblant de reconstituer en allant piocher des vêtements dans le cône avec une grande pince qui une fois remontée s’ouvre pour relâcher les vêtements piochés sur le même cône.

Interrogé par France 3 sur mes impressions alors que je n’avais parcouru qu’une petite surface de l’exposition, j’interprétais les rectangles comme des peintures abstraites d’un peintre tachiste, je supposais aussi que le performeur avait peut-être voulu suggérer le problème de la pauvreté, du recyclage des vêtements sans totalement comprendre le propos cependant d’un univers bien sombre, froid, glacial donnant de l’humanité une image plutôt fataliste.

Le contexte de l’ouverture de l’exposition en pleine catastrophe humanitaire en Haïti du fait du tremblement de terre survenu à Port-aux-Princes ne pouvait que souligner la pertinence du propos. Peut-on parler d’espoir en art, peut-on se couper de la réalité sordide de l’humanité confrontée à toutes sortes de calamités depuis la nuit des temps.

Cette lourde ambiance était renforcée par un battement sourd dont les haut-parleurs saturent nos oreilles et que je compris assez rapidement être les battements de cœur des spectateurs enregistrés dans des salles voisines et dont Boltanski veut effectuer une compilation et une mémoire pour nos descendants.

Peu convaincu par la débauche de moyens pour un spectacle aussi sinistre, je cherchais à sortir de la suffocation ainsi obtenue en m’appuyant sur des espaces de liberté que l’artiste voulait bien nous laisser. Mais j’en trouvais peu jusqu’au moment où je me retrouvais à mon point de départ du côté du mur de briques dorées qui barre l’entrée de l’exposition et qui m’a offert un instant de respiration que je mis à profit pour réaliser des photos des briques qui elles voulaient bien laisser mon imagination vagabonder.

Mais cet espace de liberté ne dura qu’un temps contournant le mur je m’aperçus que côté rue le mur n’était qu’un columbarium avec un numéro pour chaque personne répertoriée. Et alors je pris conscience du propos de l’artiste. Des numéros anonymes, un mur des lamentations, un amas de vêtements traités industriellement, nous étions bien dans une commémoration. Les morts, la Mort, l’industrie de la mort, le traitement bureaucratique de l’humanité, la négation de l’individu : les « personnes « étaient « personne » : la Shoa.

Je compris alors le malaise que l’artiste conformément à une tradition désormais séculaire de commémoration des charniers de l’histoire du vingtième siècle avait voulu créer. Avec évidemment l’événement majeur qu’a constitué pour le vingtième siècle l’extermination des «personnes » dans les camps nazis. Pas d’échappée possible nous dit l’artiste face à cet événement. Il ne s’agit donc pas de commémorer la fatalité des catastrophes naturelles, ni des catastrophes sociales, ni des guerres ethniques qui parsèment l’histoire de l’humanité.

Mais cet événement majeur que constitue pour l’histoire l’extermination systématique et volontaire des « personnes » par d’autres « personnes ».

Orphée

Puisque tu le demandes, j’écrirai sur Orphée. Mais qu’écrire sur une chorégraphie ? Un « spectacle total » m’as-tu dit. Alors y a-t-il à redire, à rajouter ? En suis-je capable ? D’autant que cela fait trois semaines déjà que j’ai vu le spectacle et comme je te l’ai dit : « j’ai tout oublié ».

Mais, comme toute demande, surtout venant de toi, est un défi, j’ai tenté de me rappeler mes sensations. Pourquoi j’ai ressenti le besoin de te faire connaître le spectacle. D’ailleurs, tu n’es pas le seul auquel je l’ai conseillé tant j’ai trouvé que tout public pouvait y trouver son compte.

Ce jour-là, je suis arrivé seul à Chaillot directement de mon travail sur la Montagne, et comme il faisait beau, j’ai longé les quais de Seine à pied. Toujours avec mon appareil photo, j’ai pris nombre de photos du fleuve et de l’activité qui s’y produit. J’étais rive gauche. Et donc, avant le spectacle, j’ai vu le spectacle ou plutôt son décor.

J’ai marché longtemps, recueillant sur la plaque numérique de mon appareil les reflets de l’eau, scrutant les bâtiments de la rive droite éclairés par le soleil couchant. J’ai traversé le fleuve, je crois au pont de l’Alma et, au risque de me faire écraser, j’ai franchi la voie rapide qui précède la voie Georges Pompidou face au musée d’art moderne de la ville de Paris, pour filmer les jeunes, et les moins jeunes, en train de surfer sur leurs planches à roulettes à côté de la fontaine.

Quand le spectacle a commencé et que j’ai vu le fond de Seine qui sert de décor au spectacle, j’avais l’impression de ne pas avoir quitté ma rêverie précédente. Elle se prolongeait, mais avec une dimension onirique supplémentaire. Hervieu et Montalvo ont eu une idée excellente de retenir ce choix qui d’un seul coup actualise le mythe d’Orphée et le problématise : « est-il encore possible ? » Ce mythe a-t-il traversé les siècles ? L’humanité est-elle encore capable de rêver ? Orphée, est-ce nous ? est-ce toi ? est-ce moi ? Orphée, vit-il à Paris ?

La Seine est un choix d’autant plus judicieux que l’eau est au cœur de la question orphique : « l’’eau coule de source », est le symbole de la naissance, de l’amour mais aussi du destin contre lequel on ne peut rien dans les mythes de toutes les sociétés et donc, de la mort. On est (naît), on vit (amour), on meurt (enfer) : Amnio, Léthé, Styx.

Pour entrer dans le mythe, Hervieu et Montalvo, nous font plonger dans la Seine. Rien de tel qu’un plongeon, salto arrière, pour nous changer les idées, nous rafraîchir la mémoire. Nos danseurs sont ragaillardis par ce bain de jouvence qui dynamise tout de suite l’histoire de nos amoureux.

L’autre choix qui, à mon avis, a été décisif dans la réussite de ce spectacle dansé, et donc sans parole, où seuls les corps parlent, comme l’enfant avant qu’il n’oralise, c’est d’avoir choisi de faire interpréter Orphée par des personnages correspondants chacun à des moments différents du mythe. Je ne suis pas sûr que cette intuition soit juste, mais je crois que si c’est le cas, elle éclaire les choix des chorégraphes. Orphée, jeune berger, langoureux et tendre. Orphée bondissant, triomphant de son amour partagé. Orphée amputé, disloqué par son amour perdu.

Mais, qui est Orphée ? Orphée : c’est toi, c’est sûr ! D’emblée, je dirais qu’il te ressemble ? Par quoi ? Devine …le charme ! Voilà tout est dit ! Ce qui caractérise Orphée ; c’est qu’il est charmant et charmeur ! Mais cela ne lui a pas apporté que des satisfactions. Car, le charme étant peu répandu, a toujours suscité la jalousie. Et, en ce qui concerne Orphée, les conséquences en ont été fatales.

Hervieu et Montalvo ont totalement respecté la trame du mythe. Ils ne se sont accordés, me semble-t-il, aucune dérogation. Tout ce qu’ils ont appris du mythe, ils ont essayé de le traduire dans leur chorégraphie intitulée : « Orphée ».

Le charme, d’abord. De ce jeune héros qui avec les Argonautes et derrière Jason ont ramené la Toison d’Or. Charmant : oh, combien ! Fils des Dieux, Orphée en a toute la prestance, la beauté physique, l’innocence de celui qui ne se sait pas né Dieu…

Un charme fou qui émane de sa simplicité même, un certain « quant-à-soi », aucune flagornerie ! Et puis, l’équilibre des traits, la vaillance, la souplesse du corps, et surtout la jeunesse. Ah , l’innocente jeunesse : elle lui sourit et il sait l’accueillir.

C’est peut-être lorsqu’Orphée dort, que ce charme déroute le plus. Est-ce ainsi qu’Eurydice le découvrit ? La capacité d’Orphée à se laisser emporter par ses rêves en fait un autre Endymion. Pourtant, ce n’est pas ainsi que la légende relate leur rencontre.

Berger, Orphée joue-t-il du fifre ou de la lyre ? un pipeau, une flûte champêtre ou un théorbe ? Des notes claires, des mélodies sorties pour l’occasion d’une musique de Monteverdi. Une musique-poème qui dit les matins clairs, les douces nuits, les peaux parfumées, des paroles de romance, l’amour réconfortant…et cette musique transforme la nature belliqueuse en eau de source, en baume pour les plaies de la guerre, en onguent délassant.

Ces notes claires dépouillent la férocité de la faune sauvage qu’Hervieu et Montalvo nous montrent s’humanisant. Âne, cheval, zèbre s’assoient sur un banc oubliant leur statut d’êtres à quatre pattes ; ils croisent les jambes, une paille aux lèvres, les yeux rêveurs oubliant le tigre, le lion, la hyène, eux-mêmes devenus des chatons titubants pour leurs premiers pas.

Les pachydermes, les léopards, girafes et autres animaux de la brousse ou de la jungle nagent sous l’eau qui est comme un nouveau Léthé, un liquide amniotique : tous deviennent des nouveau-nés que la logique de défense n’a pas encore atteints. Ils font des bulles et celles-ci, métaphoriquement, symbolisent l’oralité comme dans une bande dessinée, avant d’éclater à la surface.

C’est cette musique, qui un beau jour, séduisit la belle Eurydice. Attirée par la musique, elle découvrit notre joli pâtre, entouré de tous ces fauves transformés en agneaux. Le charme, le charmant, le charmeur…que dire, le coup de foudre, lui devenu fou, elle devenue folle…

« Pas de Deux », rencontre des corps, Orphée embrasse, caresse, porte, déporte Eurydice…amour sans limite, corps à corps endiablé, sensuel. Orphée et Eurydice s’épousent, se mêlent l’un à l’autre, disparaissent l’un dans l’autre ne font plus qu’un : baisers, passion, possession d’un sexe par l’autre.

Orphée est transporté, transformé. De cette rencontre, il est métamorphosé. Il sent lui pousser des ailes que, métaphoriquement, Hervieu et Montalvo ont transformées en échasses à ressort. Et tel un zombi, notre pâtre est devenu un autre homme : il franchit l’espace à la vitesse d’une fusée, au risque de se rompre le cou. Il court, il explose : que ne ferait-il pas pour son aimée ?

Clamer sa joie, crier son amour, dire au monde : « c’est moi qui aime ! », « c’est elle que j’aime », « c’est elle qui m’aime », « un nom, un seul : Eurydice » !

Bonheur des amants, que rien ne pourrait entacher. S’il n’y avait le serpent : symbole du sexe mâle, du péché, de la malfaisance, de la jalousie, du mal…Le serpent, qui assure et assume le rôle du contradicteur, celui qui empêche les choses de tourner rond. A l’ordre des choses, il rappelle le désordre du monde. Le monde n’est pas un : le monde n’est pas fait que d’Orphée et d’Eurydice.

Qu’est donc devenu Orphée ? A-t-il oublié ses amis les bêtes ? Et puis, pourquoi lui ? Pourquoi pas moi ? Tout pour lui, rien pour les autres ? Non, la roue tourne ; le destin n’est pas celui qu’on croit, qu’on rêve, qu’on désire…Des forces insoupçonnées travaillent notre destinée.

Le serpent qui mord Eurydice, est-il le principe de réalité ? Quel est ce benêt qui s’appelle Orphée ? Et qui croit le monde fait pour lui. Pour lui plaire, lui complaire. Est-ce cela le monde ? Un monde d’animaux dociles charmés par une flûte ? Un monde de l’amour laiteux, enfermé dans un cœur fleuri ? Orphée aurait-il confondu le monde avec une quelconque Olympe, un Paradis terrestre, un Eden ?

Mais la mort d’Eurydice : c’est amputer Orphée. Plus jamais Orphée ne pourra jouer de la lyre enchantée. Plus jamais le fleuve nourricier ne pourra assurer la renaissance des êtres. Leur donner une nouvelle vie, les faire passer de la sauvagerie à la concorde ; de la dispute à l’harmonie. Eurydice morte, c’est une amputation insupportable, une injustice incommensurable. Un monde de rêve qui s’écroule.

Pour Orphée, c’est une destinée impossible, qu’il faut conjurer par tous les moyens. Traverser le Styx, approcher le fleuve Léthé, supplier les Dieux, faire intercéder toutes les forces humaines et supra-humaines. Faire ressusciter l’aimée, la dulcinée. Le charme, toujours le charme…Orphée obtient tout des Dieux.

Le voilà en Enfer, dans un brouillard épais cherchant la femme. La ramenant par la main, franchissant une à une toutes les étapes, sentir cette main douce, impossible de se tromper : « Ne pas la regarder, ne pas la regarder, ne pas la regarder ! » Et, pourtant, à l’instant où la clarté du ciel apparaît enfin…où aux ténèbres succède la lumière : Orphée ne peut s’empêcher de se tourner vers son aimée, de soulever le voile de cheveux qui couvre ses yeux.

Est-ce l’amour, le désir irrésistible ou le doute ? Un court instant de doute ? Que se passe-t-il dans la tête d’Orphée à ce moment-là ? Cette main qu’il connaît si bien…cette douceur à nulle autre pareille…cette chaleur que lui seul connaît…est-elle celle d’une autre ? Les Dieux l’auraient-t-ils trompé ? Ou bien, croit-il que rien n’est plus fort que son amour. Qu’il a toujours gagné. Qu’il n’y a pas à douter que la bataille est déjà gagnée.

Pauvres Orphée ! Tous ces Orphée triomphants puis pleurants qu’Hervieu et Montalvo nous ont fait côtoyer. Car, je crois que je me suis trompé plus haut. Il n’y a pas trois Orphée dans la chorégraphie. Tous les danseurs sont des Orphée : des Orphée merveilleux de grâce et de souplesse, merveilleux de candeurs et de talent. Tous ont devant eux une destinée brillante.

Ne sont-ils d’ailleurs pas, solidaires les uns des autres ? Qu’est cet ami qui supporte sur sa jambe valide notre Orphée amputé de son Eurydice ? N’est-il pas lui-même un autre Orphée ? Un unijambiste du cœur ou du foie ? Un amputé du cerveau, un sourd, un aveugle ? Ne sommes-nous pas tous voués à être la béquille d’un autre ?

Alors bel Orphée as-tu joué du Fifre aujourd’hui ?

Mauresk.